samedi 17 janvier 2015

Les Michel de la chanson française (2/6) : Delpech, le monsieur tout-le-monde


Quantité de dynasties ont marqué les esprits par un nom. Il existe une génération d'artistes qui en a fait de même avec un prénom. Nés entre 1942 et 1947, ils sont six à avoir signé les plus belles partitions de la chanson populaire. Avec pour seuls dénominateurs communs, le talent et le prénom -celui de l'archange et de la mère qui a perdu son chat. Car chacun possède une personnalité et une écriture singulières. Mélancolique, gai, franchouillard, intello, hippie, réac...autant de tempéraments souvent opposés qui font la richesse des Michel de la chanson française. Hussards de la ritournelle, ils sont à l'origine de mélodies qui ont irradié des décennies durant l'esprit et le coeur des Français Leurs paroles et leurs airs sont passés à la postérité, gravés dans l'inconscient collectif et le patrimoine national. Le Fumoir leur rend hommage via une série de six portraits Aujourd'hui, intéressons-nous au Michel sympathique, naturel et proche des gens : Delpech, le monsieur-tout-le-monde.
En novembre dernier, Voici nous apprenait que Michel était guéri d'un cancer de la gorge et de la langue contre lequel il se battait depuis deux ans. Ren n'indique en revanche qu'il pourra de nouveau chanter. Quand bien même, le coeur des Français est empli de joie et de soulagement. Car, plus qu'un autre Michel, l'auteur de "Pour un flirt" a su créer et entretenir une réélle proximité avec le public. L'histoire de Michel, c'est celle du Français lambda. L'enfant des Trente Glorieuses qui a eu 20 ans en 1968 et a vécu la révolution des moeurs. Michel, c'est un peu l'ami de tous les Français. Contrairement à d'autres Michel, il a chanté son époque avec le regard du Français moyen. Ni engagé ni militant, Michel s'est illustré par une vision simple et sincère des événements qu'il traversait. Il est comme ça Michel : authentique, naturel, vrai.


Michel est né le 26 janvier 1947 à Courbevoie. De son vrai prénom Jean-Michel, il est issu d'une famille aisée. Son père dirige une petite entreprise. Il publie en 1963 un premier 45 tours, intitulé "Anatole", qui passe inaperçu. Deux ans plus tard, il participe à la comédie musicale "Copains-clopants". Grâce au succès de "Chez Laurette", il s'impose comme l'étoile montante de la chanson. "Inventaire 66" est un nouveau hit. Son allure de jeune premier et son sourire ravageur séduisent le public. Michel se produit en première partie des adieux à la scène de Jacques Brel, à l'Olympia en 1966.

   
"Rimbaud chanterait" est un tube plein de fougue et de passion. Michel revendique une filiation toute artistique et spirituel avec le poète. A coup sur, si l'auteur du "Bateau ivre" avait vécu à son époque, il aurait été un chanteur ayant soif de liberté. Tout comme Michel. C'est qu'on appelle une tradition française.

En 1968, Michel obtient la reconnaissance du milieu artistique en recevant et le Grand Prix du Disque et le prix de l'Académie Charles-Cros. Il est alors une vraie superstar de la chanson, un artiste profondément populaire. Les années passent et les tubes s'enchaînent : "Wight is Wight" (1969), "Paul chantait Yesterday" (1970), "Pour un Flirt" (1971) -dont les cuivres sont pompées sur ceux de "J'habite en France" d'un autre Michel. Michel cartonne car Michel plaît à tout à le monde. Il rend hommage aux grands artistes anglais et américains de l'époque sur une musique qui reste accessible à l'ensemble des Français. Ce qui séduit à la fois les jeunes fans de rock et les anciens, amateurs de musique plus traditionnelle. Michel incarne aussi bien le gendre idéal que le bon pote. En effet, comment résister à ce chanteur, bel homme, à la voix charmante, qui dégage tant de sympathie et de bonnes ondes ? A l'époque, la France ne résiste pas.


A l'inverse de plusieurs de ses homonymes, Michel n'embrasse ni ne rejette totalement l'idéologie hippie ou libertaire. Il se contente de profiter de ses avantages et chante l'amour libre -avec toujours beaucoup de réserve. Consensuel, Michel est avant tout un type normal, avec les idées qui en découlent. Comme nombre de ses compatriotes, après avoir vécu la libération sexuelle, il subit la démocratisation du divorce. Sa femme le quitte en 1975. Deux ans plus tôt, il avait prophétiquement chanté "Les divorcés", un triomphe dans les charts.


Dans cette vidéo, Michel est au sommet. Beau gosse, virevoltant, swag, tour à tour charmeur et rageur, son talent irradie comme rarement. Il se fend de surcroît d'un texte subversif : la Marianne en question symbolise la France, le pays aux 300 fromages, et ses enfants sont les différentes républiques. Et Michel chante qu'elle a "quatre enfants perdus, et un cinquième qu'elle ne connaît plus". Prend ça dans tes dents Pompidou !

Au cours de la décennie 70, la machine à tubes tourne à plein régime ("Que Marianne était jolie", 1974, "Quand j'étais chanteur", 1975). Plus que jamais, Michel incarne monsieur-tout-le-monde, vous et moi et l'homme de la rue. Preuve en est, il chante les louanges d'un loisir ô combien populaire et ancré dans nos terroirs : la chasse (dans la biennommée "Le chasseur (les oies sauvages)", 1974). Deux ans plus tard, le succès de "Loir-et-Cher" est l'acmé de sa carrière. Le summum, le paroxysme. Là encore, Michel y dépeint son époque avec simplicité et jovialité. Il met en chanson le fossé qui se creuse entre la campagne et la ville. Entre le passé et l'avenir, entre stabilité et mouvement, conservatisme et marche en avant. Et ce, en un temps où les milieux ruraux se vident du fait des avancées techniques et d'un ascenseur social des plus efficaces.

Michel est tellement sympa que, lorsqu'il part à la chasse, il préfère s'abandonner à mère Nature dans la contemplation de ses créatures, plutôt que de tuer du gibier.

Puis Michel sombre dans la dépression et l'alcool. La traversée du désert s'achève en 1985 avec la sortie d'un nouvel album "Loin d'ici", qui récolte un succès d'estime. Quatre ans plus tard, son best-of frôle le million d'exemplaires. Michel tombre ensuite dans les griffes de l'inévitable Didier Barbelivien. Ils signent ensemble le disque "J'étais un ange" en 1990. Hélas ! Rien n'y fait, le succès d'antan n'est plus au rendez-vous. Néanmois, Michel continue d'attirer un public nombreux et fidèle à ses concerts. Si les albums se raréfient depuis près de vingt-cinq ans, Michel reste une figure appréciée par le public et par ses pairs. En 2006, la jeune génération de la chanson française lui rend hommage avec "Michel Delpech &...", un album de reprises de ses plus grands titres, interprétés en duo. A titre de comparaison, Sardou n'a pas eu le droit à une telle reconnaissance. Michel ne travaille plus beaucoup et s'ennuie probablement. Ainsi, lui pardonne-t-on ses égarements, comme lorsqu'il dédie, un soir  de concert en 2007, la chanson "Que Marianne était jolie" à la candidate à la présidentielle Ségolène Royal.

Jeter une oreille sur la discographie de Michel, c'est revivre une période de notre histoire avec le regard de monsieur tout-le-monde. Dans la grande famille des Michel de la chanson, Delpech est l'homme tranquille. Le type simple. Le bon gars, quoi. Qui tient plus du fils prodigue que prodige, mais pour lequel on ne peut éprouver que la plus franche sympathie. Impossible de ne pas l'aimer. Et ça tombe bien, nous t'aimons Michel.




Sources : frmusique.com et mon coeur de mélomane

1 commentaire:

  1. Excellent article mais qui laisse dans l'ombre sa conversion au christianisme, qui reste pourtant LE grand tournant de sa vie !

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