lundi 5 janvier 2015

Les Michel de la chanson française (1/6) : Sardou, le punk de droite


Quantité de dynasties ont marqué les esprits par un nom. Il existe une génération d'artistes qui en a fait de même avec un prénom. Nés entre 1942 et 1947, ils sont six à avoir signé les plus belles partitions de la chanson populaire. Avec pour seuls dénominateurs communs, le talent et le prénom -celui de l'archange et de la mère qui a perdu son chat. Car chacun possède une personnalité et une écriture singulières. Mélancolique, gai, franchouillard, intello, hippie, réac...autant de tempéraments souvent opposés qui font la richesse des Michel de la chanson française. Hussards de la ritournelle, ils sont à l'origine de mélodies qui ont irradié des décennies durant l'esprit et le coeur des Français Leurs paroles et leurs airs sont passés à la postérité, gravés dans l'inconscient collectif et le patrimoine national. Le Fumoir leur rend hommage via une série de six portraits Aujourd'hui, intéressons-nous au Michel réac, mal-aimé, mais insubmersible : Sardou, le punk de droite.

Le film "La famille Bélier" a récemment dépoussiéré l'image de Michel Sardou. Selon un sondage publié par le Parisien, 88% des Français le considèrent comme un "monument" de la chanson française. Toutefois, 56% de nos compatriotes le jugent réactionnaire et 29% d'extrême-droite. Là est tout le paradoxe Sardou. Haï mais toujours là. Voué aux gémonies mais faisant salle comble. Rarement un chanteur, et même un artiste au sens large, n'aura été aussi détesté ces cinquante dernières années que le géniteur des "Lacs du Connemara".


Michel est naît le 26 janvier 1947 dans le 17e arrondissement de Paris. Il est issu d'une famille de saltimbanques. Sa mère, Jackie, Parisienne, est danseuse et comédienne. Son père, Fernand, Avignonnais, comédien et chanteur. Michel est la rencontre du Nord et du Sud, du froid et du chaud. D'où un tempérament de feu sous sa légendaire et indécrottable morgue. Cancre à l'école, le petit Michel préfère passer son temps dans les cabarets. Pétri d'ambition, il tente de s'enfuir à 17 ans pour le Brésil afin de monter un club de strip-tease. Son père l'en empêche in extremis sur le tarmac de l'aéroport. Puis, Michel hésite entre la chanson et la comédie. En 1965, ses potes Michel Fugain (un autre Michel de la chanson dont nous reparlerons) et Patrice Laffont (l'immortel animateur de Pyramide) écrivent paroles et musique de son premier 45 tours "Le Madras". Le succès n'est pas au rendez-vous. Il pointe le bout de son nez deux plus tard avec "Les Ricains". Le jeune Michel chante l'ingratitude de la France envers les Etats-Unis sans qui elle n'aurait pu vaincre les nazis. Un véritable outrage alors que l'air du temps est à un anti-américanisme de bon aloi. Le général De Gaulle fait censurer la chanson sur les ondes de l'ORTF. Premier scandale pour Michel.


Dans l'injustement méconnu "Bonsoir Clara", Michel chante les malheurs de la vie conjugale et conseille à son acolyte Enrico Macias de ne pas se marier s'il ne veut pas être emmerdé par une femme. Un hymne à la liberté et à la fraternité virile porté par une musique qui fleure bon la guinguette.

En 1970, "Les bals populaires" et "J'habite en France" le propulsent vedette. Ces deux succès, au style franchouillard, lui colle l'étiquette de chanteur de la France profonde. De chanteur beauf pour faire court, surtout aux yeux des médias. 1973 est l'année de la reconnaissance. Michel publie l'album "La maladie d'amour". Celui-ci regorge de tubes : la chanson éponyme, ballade fédératrice dont l'air est l'un des plus connus de la musique populaire française, mais aussi "Les vieux mariés" et le sulfureux "Les villes de solitude". C'est avec ce titre que naît la légende noire de Sardou. Michel y incarne un homme ivre qui s'écrie "J'ai envie de violer des femmes, de les forcer à m'admirer". Deuxième scandale. A l'image de chanteur beauf s'ajoute celle de chantre misogyne.


Détesté par une partie de l'opinion, Michel est néanmoins auréolé de gloire. En 1976, il publie l'album "La vieille". Sur la pochette, Michel arbore un look badass, larges Ray-Ban sur lesquelles figurent des lignes de tir et blouson de cuir. Il est l'homme à abattre des médias. Il le sait et il en joue. Tel un punk de droite, Michel va encore plus loin dans la provocation. Deux chansons suscitent de vives esclandres. "Le temps des colonies" le catalogue colonialiste et raciste. "Je suis pour" en fait un partisan de la loi du Talion et de la peine de mort. La presse s'enflamme. Libération écrit "Le fascisme n'est pas passé et Sardou va pouvoir continuer à sortir ses sinistres merdes à l'antenne". Des comités anti-Sardou se créent, des manifestation hostiles sont organisées avant chacun de ses concerts. Une bombe est découverte dans la chaufferie d'une salle de spectacle de Bruxelles où il doit se produire. En 1978, un pamphlet subtilement intitulé "Faut-il brûler Sardou ?" alimente la polémique.

Un des objets du scandale. "Les villes de solitude" est le pendant musical du film "Taxi driver" : on y retrouve la même dénonciation des jungles urbaines que sont nos métropoles modernes, où les âmes les plus faibles brûlent leurs ailes. Scorsese et Sardou, même combat.

Devant tant de pressions et de menaces, Michel se débarrasse de son costume de punk réac. Il abandonne les textes engagés et entame au début des années 80 un tournant plus populaire et consensuel. Toutefois, Michel ne parvient pas à casser totalement son image. Son passé sulfureux traînent à ses basques telle une batterie de vieilles casseroles. Sardou le "facho" se transforme en Sardou le "vieux con". Michel multiplie les tentatives de réhabilitation. Or, ni le succès d'"Etre une femme" ni celui de "Musulmanes" ne réussissent à effacer le souvenir de "Les villes de solitude" et "Le temps des colonies". Quand bien même, Michel enchaîne les tubes qui deviennent autant de standards : "En chantant" (1978), "Les Lacs du Connemara" (1981), "Chanteur de jazz" (1985).

Comme toutes les vedettes de l'époque, Michel a eu le droit à des chansons signées par l'inénarrable Didier Barbelivien. En 1990 sort le single "La même eau qui coule", une réflexion douce-amère sur le temps qui passe. Les paroles ne sont pas sans rappeler la plume hermérique de Mallarmé.

Dès lors se forge l'image d'un Michel telle qu'elle perdure aujourd'hui. Celle d'un chanteur pour vieux qui fait la gueule en public et qui se tient sur scène de façon statique. Depuis vingt ans, les tubes se réduisent comme peau de chagrin. A l'instar de nombre d'artistes en fin de course, Michel délaisse la chanson pour se consacrer au cheval, sa passion des vieux jours. Il se contente de sortir régulièrement un album suivi d'une tournée pour renflouer les caisses. Et pourtant, Michel n'a jamais sombré dans l'oubli. Dans la galaxie des Michel de la chanson fraçaise, il est l'équivalent du vieil oncle réac de la famille, qui, bien que lucide sur l'image qu'il renvoie, ne peut s'empêcher de balancer à table la phrase qui met tous les convives mal à l'aise. Néanmois, on continue à l'inviter aux repas car, dans le fond, il est sympathique et attachant. Il est bien plus que le vieux con de service. Et puis, il fait partie de la famille.





Source : Wikipédia et mon coeur de mélomane

1 commentaire:

  1. Excellent article
    J'ajouterais que Michel Sardou a été "cassé" parce que trop franco-français; il fallait détruire les "élites" d'alors pour les remplacer par d'autres, plus cosmopolites, genre Goldmann, et préparer le terrain à l'acculturation généralisée et le triomphe de l'américanisation d'aujourd'hui.

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