mardi 4 juin 2013

La Théorie du Beurre

Le professeur Delapierre entra dans la salle de conférence avec une mine déconfite. Rien de pouvait réellement le sortir de sa torpeur cadavérique depuis qu’il avait fait la terrible découverte qui allait changer la face de l’humanité. Une découverte que chaque journaliste s’attendait à relayer aux plus grands studios de télévision. La déclaration qu’il allait faire était l’un des plus importants événements du XXIème siècle, et le monde entier avait les yeux rivés sur lui. Consterné, il déposa le papier sur lequel il avait écrit son discours, comme s’il s’agissait là d’un document sans grande importance.

Après tout, il n’avait que quelques mots à dire aux publicistes, car chacun savait que cette découverte scientifique venait de s’avérer vraie. Il s’y prit à deux reprises pour racler le fond de sa gorge dans un toussotement discret, avant qu’un dernier silence ne vienne s’emparer des lieux. Les yeux livides, le regard hébété, il posa ses deux mains sur le piédestal et observa ses interlocuteurs. Le monde entier avait les yeux rivés sur lui.

-          Mesdames et messieurs, j’ai le malheur de vous annoncer que le raisonnement le plus ravageur de notre ère… vient d’être officiellement vérifié par les plus grands mathématiciens de notre époque. La théorie du beurre est belle et bien véridique, fondée, et unanimement ratifiée par l’académie des sciences de l’état français.

Cohue, brouhaha, bousculade dans l’hémicycle. La nouvelle tombe avec fracas.

Mais quelle est donc cette étrange théorie qui va changer la face du monde ?



***

Chers internautes, laissez-moi vous dire que Darwin avait tort. Oui, j’aime commencer mes articles par une affirmation aussi sèche et drue que cette dernière, car je me dois de vous dire la vérité à propos de la sélection naturelle. Les sentiments humains sont loin d’être régis par un état de rationalité ou d’irrationalité profonde dans le bouleversement des hormones de tout un chacun. Il existe, et vous devrez vous y faire, une véritable façon de définir le caractère tendancieux d’une relation dans un couple hétérosexuel comme homosexuel (je me dois de préciser la chose, étant donné que depuis certains temps il est de bon ton de rentrer dans le débat publique en intégrant toutes les minorités possibles à une situation de généralité, aussi je pourrais très bien y insérer la conception de polygamie, de zoophilie, ou de toute autre déviance maritale possible et imaginable dans un futur plus ou moins proche – bien que pour les animaux, nous verrons ça plus tard).

Loin d’être une aberration fictive d’une conception dualiste du couple humain énoncée dans un état d’ébriété absolu, c’est ici une théorie fort intéressante sur les rapports interhumains que nous allons mettre à nu, et étudier de manière à ce que vous puissiez vous parer d’une éventuelle attaque de votre territoire d’être dominant. Et je n’oserai parler de mâle, car certaines femelles humaines savent défendre leur territoire avec autant de vergogne qu’un communiste. A savoir qui du communiste ou de la femme est le plus teigneux, ce n’est pas le sujet, bien que je vois dans vos regards de lecteurs corrompus l’once d’une réponse embrasser vos lèvres. Mais avant que vous ne puissiez énoncer l’idée même d’un propos misogyne, laissez-moi vous introduire – point de calembour mal placé, rassurez-vous – la théorie du beurre.


Il existe, chers amis, un produit laitier que l’on appelle le beurre. Afin de vous faire comprendre l’entièreté de ma thèse, je me vois dans l’obligation de vous préciser de quel beurre nous parlons là. Car il se pourrait que votre esprit tordu d’internaute traduise cet aliment en un tube empli d’un liquide vaseux, vendu uniquement dans certains locaux pour adultes, afin de lubrifier les surfaces de glissements lors de rapports dits de pistons et chemises. Et tandis que je m’applaudis moi-même sur cette image fort mécanisée d’une scène de coït animal, je vous colle ici même la définition de ce que j’appelle par : « beurre ».

« Beurre : Substance alimentaire grasse et onctueuse obtenue en battant de la crème de lait. »

Le beurre est un aliment de tous les jours, il sert à la conception d’une multitude de plats divers et variés, allant des pattes dégueulasses de l’étudiant vivant dans sa chambre poisseuse à la crème de marron déposée sur le dos d’un canard confit dans un restaurant cinq étoiles. Alors oui, je vous vois venir bande de petits filous, vous allez me certifier que l’on ne met pas de beurre dans de la crème de marron, certes. Mais j’ose croire qu’il existe encore une liberté de mettre les aliments que l’on veut dans nos crèmes. Et si je veux mettre du beurre dans de la crème de marrons, bande de fascistes, j’en ai tout à fait le droit. Mais passons, avant que vous ne vous détruisiez vous-même dans vos arguments anti-démocratiques, face à mon argumentaire imparable.

Le beurre peut se découper de plusieurs manières, car oui, le beurre se coupe. Qui n’a jamais coupé du beurre au moins une fois dans sa vie ? Il existe plusieurs façons de procéder à la chose, et ce grâce à plusieurs sortes d’ustensiles. Certains préfèrent les couteaux, tandis que d’autres les fourchettes, ou encore des cuillères (Arthur ?). Tant et si bien que la plupart des personnes ont développé un sens personnel de la coupe de cet aliment jaunâtre. Certains l’effilent de manière transversale, d’autres préfèrent effectuer des découpages en suivant la largeur afin de garder les graduations visibles et efficientes, ou d’autres encore s’amusent à racler le beurre sur sa surface supérieure. Autre domaine de compétence dans la découpe du beurre, la manière dont le paquet est déballée, car si les outils utilisés et la coupe effectuée sont divergents, de nombreux hérétiques n’hésitent pas à décalotter le beurre dans des positions plus humiliantes les unes que les autres : entièrement nu, à demi découvert, ou même sorti complètement de son sachet et déposé sur une planche à pain (ce qui, pour ma part, et ce d’un avis entièrement subjectif, est une action plus ignoble qu’effectuer un génocide par lapidation).

Comme vous pouvez le constater, toutes ces manières de procéder à l’insertion du beurre dans vos recettes (ou dans ce que vous voulez), se croisent les unes aux autres, s’associant, se regroupant, divergent d’autres manières, et ainsi de suite. Tant et si bien qu’il m’est tout à fait sincère de vous dire qu’il existe autant de manière de couper son beurre qu’il existe de personnalité. Et cette association des deux induit, indubitablement, à l’énoncé de la théorie du beurre. Car il existe bel et bien un énoncé dans cette théorie, sinon il me serait impossible de vous expliquer ledit précepte, et vous ne me serez alors redevable de rien. Mais puisque j’ai le cœur grandi d’une infinie bonté, et ce grâce à un séjour dans un temple reculé, à ne manger que des larves et à communiquer avec le fantôme de Gandhi, je vais vous faire part de cette vérité absolue, que l’on devrait mettre – encore une fois selon mon humble avis de rédacteur – au même niveau que la Bible, si ce n’est au-dessus.



On peut également couper son beurre en petits dés pour des parties de jeu de rôle afin de, si je puis me permettre,  mettre du beurre dans ses épinards.

Dans un couple, si votre partenaire ne coupe pas le beurre de la même façon que vous, c’est que vous n’êtes pas fait pour être ensemble.

Bim ! Patatras ! Le monde autour de vous tourne, vous ne savez plus où trouver vos repères. Si vous êtes en couple, vous ne vous rappelez plus de la manière dont votre partenaire coupe son beurre, curieux (ou curieuse ?), vous vous empressez d’aller voir comment il procède lors de la conception de sa recette préférée. Pire encore, vous l’avez déjà vu couper le beurre d’une autre façon que vous, et c’est alors que le drame commence, s’enchaîne et le cauchemar se déchaine. Vous êtes scotché, je sais, oui, mais vous n’êtes pas au bout de votre peine, car alors que vous aviez l’habitude de couper votre matière grasse avec un couteau à beurre, votre conjoint(e) utilise… UN OUVRE BOÎTE ! C’est alors la catastrophe, vous doutez de votre relation, et c’est le début d’une longue période de crise. Mais, gare à vous célibataires, qui pensiez pouvoir échapper à cette hécatombe, car une femme qui ne coupe pas le beurre de la même façon que vous, est une femme avec qui vous n’arriverez pas à conclure, cela marche également dans ce sens !

(Vous l’avez sans doute remarqué, j’ai délibérément troqué mon audimat non sexué pour des interlocuteurs de type uniquement masculin, sans doute un élan patriarcal déclenché par mon subconscient afin d’avertir mes homologues de la menace qui pèse sur leurs ménages… Ou peut-être que seuls les mecs sont assez cons pour lire ce genre de billet – Oui, oui, c’est certainement le premier cas).

Avec cette théorie, que faire ? Comment vous extraire de ce fatalisme inébranlable qui risque de marquer votre vie à jamais et d’entacher les relations avec l’ensemble de vos partenaires actuelles, futures ou potentiellement motocultables ? Point de panique, je vais vous dévoiler quelques clefs afin de dégoupiller une situation gênante, lorsque votre dulcinée, votre conjoint ou peu importe la personne avec qui vous êtes, s’enhardit à sectionner de manière infidèle ce pauvre morceau de beurre.

-          Le cas dit de la flemmardise : La plupart du temps, lorsque l’on coupe le beurre, on utilise l’outil le plus proche. Une fourchette traîne sur l’évier, un couteau mal lavé de la veille est posé sur une planche à pain (je parle ici du morceau de bois, point de la gent féminine dépourvue d’atouts mammaires), vous trouvez un vieux morceau de carton sous votre machine à laver, ni une ni deux, vous vous en emparez pour découper votre beurre afin d’éviter de faire la vaisselle. En ce cas, la théorie n’est pas opérante. Elle est annulée, car vous avez effectué ce qu’on appelle un mouvement de flemmardise.



-          Le cas de la multi-coupe : Ici, il s’agit également d’une façon d’éviter le problème et d’annuler le raisonnement du beurre. Il existe en effet plusieurs manières de couper le beurre chez certaines personnes, et parfois elles le coupe différemment selon ce qu’elles vont en faire. Si elles suivent une recette, elles suivront généralement les graduations. Si elles souhaitent tartiner, elles racleront la plupart du temps le dos du beurre. Là, il existe énormément de cas spéciaux et uniques de découpage du beurre, tant et si bien que statistiquement, la théorie n’est pas valable à court terme (en général, 60 à 100 coupes définissent une manière personnelle de couper son beurre).



-          Le cas de la feinte : On ne va pas se le cacher, si vous avez lu l’article jusqu’ici, c’est que vous êtes un ou une pro de l’étude comportementale des êtres humains. Et étant donné que ce billet a une valeur scientifique inestimable, nul doute de vous dire que vous y avez trouvé réponse à vos questions. Mais il se pourrait que votre partenaire soit de la même trempe que vous, en ce cas la personne pourrait bien connaître la théorie du beurre et effectuer plusieurs tentatives de découpage de matière grasse afin de vous tester, et voir jusqu’où vous êtes prêt à tolérer un découpage de beurre. Bon, si la petite nénette se met à déchirer le beurre avec ses ongles et que vous ne chignez toujours pas, c’est qu’elle se fout clairement de votre gueule et vous avez le droit de lui écraser le morceau de beurre entre les deux yeux.



-          Le cas du bipartisme politique : On le sait, un beurre se coupe d’un côté, tout comme de l’autre, ce grâce à la symétrie de ce bloc rectangulaire. Qu’à cela ne tienne, si votre partenaire coupe à droite, et que vous coupez à gauche, il est fort possible que vous tentiez de lutter intrinsèquement pour vos idées politiques, et ce dans la névrose la plus singulière. Si vous repérez la chose, faites- lui croire que vous avez, en réalité, voté Front National toute votre vie, elle y réfléchira à deux fois avant de vous provoquer sur le plan politique.



-          Le cas de l’animal : Nul n’est dupe, un animal ne coupe pas du beurre, sauf dans certaines situations expérimentales. Je ne vous cache pas que dès lors, il vous est possible de n’être compatible avec votre partenaire primitif que dans l’éventualité ou, vous-même, ne cuisineriez pas de beurre. Si tel est le cas, je vous conseille d’attendre quelques centaines de milliers d’années avant de vous mettre avec une créature inférieure à l’espèce humaine, car, si je ne me trompe pas, il n’existe actuellement aucune loi vous autorisant à vous mettre en couple avec un ouistiti.  



Vous êtes donc parés à vous lancer dans le monde des rencontres, du dialogue de couple et de la relation conjugale. Mais n’oubliez pas, jamais, ô grand jamais, ne faites semblant de couper le beurre d’une manière qui ne vous conviendrait pas. Certains scientifiques m’ont confirmé qu’il était possible que cela entraîne des lésions irréversibles sur votre cerveau, allant du choc post-traumatique jusqu’à la paralysie léthargique immobile qui ne bouge pas.

 On ne rigole pas avec la théorie du beurre.

***

Depuis l’annonce fatidique de la veille, le professeur Delapierre n’osait plus ouvrir son frigo. Le morceau de beurre était là, caché derrière la porte, quelque part, et observait sa vie de couple tel un prédateur insatiable, traquant la moindre faille de son système émotionnel. Et si la façon de ranger son beurre comptait aussi dans la théorie ? Et si la façon de couper une pomme, la manière de manger un steak, ou encore la façon de s’habiller, étaient également des branches annexes de cette théorie infernale ? Des perles de sueur coulaient sur son visage. Un couteau était enfoncé dans la planche à pain de sa cuisine. Qu’avait coupé sa femme avec ? Se pourrait-il qu’elle…

Apeuré, effrayé, il se précipita sur son réfrigérateur, ouvrit la porte aussi vivement qu’il le put et sortit le beurre sur le plan de travail. Il le déballa lentement, comme si l’aliment allait lui exploser à la face, et observa les coupes fines de la lame qui l’avait sectionné. Il voulut s’éviter le pire, mais il était déjà trop tard. Le beurre avait été torturé, massacré. Il rechercha l’arme du crime. Et ce fut avec dégoût qu’il aperçu l’objet de la mort. C’était une abomination, un désastre, il tourna sur lui-même, attrapa sa tête entre les paumes de ses mains, s’écroula au sol ! Sa femme avait coupé le beurre…

AVEC UNE PAILLE !

-          Nooooooooon !



CASTELLON

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