dimanche 9 février 2014

Portrait de l'artiste en homme invisible


À l’heure où l’image a envahi l’espace public et où la forme a définitivement gagné sur le fond, certains artistes ont fait le choix de vivre en retrait des médias, voire de cultiver un anonymat qui confine souvent à la disparition pure et simple. Passage en revue de ces grands absents qui appliquent à la lettre la fameuse devise « pour vivre heureux, vivons cachés ».


MAURICE BLANCHOT


De tous les grands invisibles, Maurice Blanchot fut certainement le plus radical et le plus mystérieux. Il n’a laissé qu’une seule photographie de son visage et a affiché durant toute son existence une véritable obsession pour la disparition. Auteur d’une œuvre volumineuse et difficile d’accès, souvent qualifiée d’hermétique, cet intellectuel atypique est mort en 2003, dans sa 96e année.


JULIEN GRACQ


Lauréat du Prix Goncourt en 1951 pour Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq se rend célèbre en refusant cette récompense et en évitant autant que possible les apparitions médiatiques et la fréquentation du milieu littéraire. Il élabora une œuvre ambitieuse, d’une grande richesse stylistique. Retiré dans sa propriété de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire, il fit l’objet d’un véritable culte jusqu’à sa mort, en 2007, à l’âge de 97 ans.


LOUIS-RENÉ DES FORÊTS

  
Cet auteur compte parmi les écrivains français les plus discrets, qui se sont effacés derrière leur œuvre jusqu’à l’extrême. Louis-René Des Forêts publia peu de livres, mais chacun d’entre eux fut encensé par la critique spécialisée. Il passa du roman aux poèmes, en passant par la forme fragmentaire, tous ces ouvrages ayant en commun un aspect rare et secret, accordant une grande importance au silence. Il est mort en 2000, âgé de 82 ans.


MILAN KUNDERA

  
Naturalisé français en 1981, cet auteur d’origine tchécoslovaque refuse obstinément toute apparition médiatique, citant comme modèle Gustave Flaubert, qui considérait que le romancier devait disparaître intégralement derrière son œuvre. Il fait partie du club fermé des auteurs publiés de leur vivant dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Ces dernières années, il a créé la polémique en interdisant l’édition de ses livres en format numérique.


JONATHAN LITTELL

  
En 2006, un livre inclassable de 900 pages est publié chez Gallimard. Les Bienveillantes relate des épisodes marquants de la Seconde Guerre mondiale du point de vue d’un SS. La critique s’enthousiasme, et l’Académie Goncourt lui attribue son prix. Mais Jonathan Littell ne daignera pas se déplacer pour le recevoir. Mieux que ça : il déclinera les invitations à la télévision, et jouera à fond la carte de l’homme-mystère. Depuis, il publie régulièrement des livres, traitant aussi bien de la situation en Syrie que du fasciste belge Léon Degrelle ou du peintre Francis Bacon.


GUY DEBORD

  
Mondialement célèbre pour son essai La Société du Spectacle, paru en 1967, Guy Debord est aussi à l’origine de l’Internationale lettriste et de l’Internationale situationniste, mouvements artistiques et intellectuels majeurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Debord évitait soigneusement d’apparaître dans les médias, à tel point qu’on n’a longtemps connu que quelques photographies de son visage. Atteint d’une polynévrite due à sa consommation d’alcool, il se suicide le 30 novembre 1994.


THOMAS PYNCHON

  
Pynchon fait partie de ces extrémistes de l’anonymat, qui se cachent totalement derrière leurs livres. On ne sait quasiment rien de cet auteur : seules quelques photos en noir et blanc datant de sa jeunesse donnent une idée de son visage. Des journalistes américains qui l’avaient filmé dans une rue de Manhattan furent contraints d’effacer la bande. Il est très respecté dans le paysage littéraire mondial, grâce à ses romans, énormes fresques savantes et ambitieuses.


J.D. SALINGER

  
Sans doute le plus connu des ermites littéraires, J.D. Salinger est devenu au fil des années un mythe vivant. Après le succès de son roman L’Attrape-cœurs en 1951, il publie encore quelques ouvrages avant de se murer dans un silence total à partir de 1965. Vivant reclus dans sa maison de Cornish, dans le New Hampshire, il éconduisait les journalistes et biographes qui souhaitaient s’entretenir avec lui. Il meurt en janvier 2010, à l’âge de 91 ans.


B. TRAVEN

  
Multipliant les pseudonymes et les nationalités différentes, B. Traven est une véritable énigme. Sa date et son lieu de naissance demeurent aujourd’hui encore incertains. Il a notamment écrit sur l’exploitation des Indiens du Mexique dont il se sentait proche, et s’est opposé à la discrimination raciale, ainsi qu’au capitalisme. À partir de 1939, il ne publia plus qu’un seul ouvrage jusqu’à sa mort, en 1969.


ANTONI CASAS ROS

  
Défiguré par un accident de voiture qui coûta la vie à sa compagne, Antoni Casas Ros s’est mis à écrire juste après ce drame. Il a publié plusieurs romans en français chez Gallimard, parmi lesquels Le Théorème d’Almodovar, en 2007. Personne n’a jamais vu son visage, pas même ses éditeurs, ce qui fait croire à certains qu’Antoni Casas Ros n’existe pas, et qu’un auteur, déjà connu sous un autre nom, écrit sous ce pseudonyme.


ONUMA NEMON

  
Ce pseudonyme cache un auteur invisible, auteur d’une œuvre atypique. Également plasticien, Onuma Nemon publie petit à petit des extraits d’une sorte d’œuvre d’art totale qu’il élabore depuis 1966, et qui compterait aujourd’hui plus de 20 000 pages.


RÉJEAN DUCHARME

  
À l’instar de Maurice Blanchot ou Thomas Pynchon, on ne connaît de cet auteur québécois que deux ou trois photos en noir et blanc. Il a choisi l’invisibilité depuis son premier roman, L’Avalée des avalés, en 1966. Depuis, aucune apparition publique : il bénéficie de la complicité de ses amis et voisins, qui ne souhaitent pas le photographier alors qu’ils le pourraient. Réjean Ducharme n’a rien publié depuis 1999.


GÉRARD MANSET

  
Né en 1945, Gérard Manset est un cas à part dans le milieu de la chanson française. Depuis 1968 et la sortie de son premier disque, Animal on est mal, il traîne une réputation d’homme invisible, qui ne monte jamais sur scène, n’apparaît pas à la télévision, refuse qu’on le photographie sans ses lunettes noires. Son chef-d’œuvre, La Mort d’Orion, sorti en 1970, passe pour être un des albums-concepts de langue française les plus aboutis. Comme Hubert-Félix Thiéfaine, Manset peut compter sur un public fidèle malgré sa grande discrétion.


JACQUES DUTRONC


Après avoir passé des années sous les feux de la rampe, Jacques Dutronc s’est retranché dans sa propriété corse de Monticello, où il vit loin de l’agitation du show-biz. S’il se montre encore au cinéma, il ne sort quasiment plus de disques. Ses derniers albums datent respectivement de 1995 et 2003. Ses apparitions sur scène sont encore plus rares (1992 et 2010).


MICHEL POLNAREFF

  
Michel Polnareff est connu pour ses disparitions brutales et sa rareté médiatique. Il quitte la France en 1973 et s’installe à Los Angeles. Dans les années 80, il revient en France et vit incognito dans la banlieue parisienne, méconnaissable (barbe et cheveux longs). En 1989, il s’installe 800 jours à l’hôtel Royal Monceau, où il enregistre Kâmâ Sutrâ, dernier album studio en date, sorti en 1990. Après une tournée française triomphale en 2007, Michel Polnareff, toujours exilé aux États-Unis, serait sur le point de sortir un nouvel album en 2014, après 24 ans de silence.


MARK HOLLIS

  
L’ancien leader du groupe anglais Talk Talk, connu pour son tube Such a Shame en 1984, a disparu des écrans radars depuis plus de quinze ans. Après les deux derniers albums du groupe, qui n’avaient déjà plus rien à voir avec la variété facile des débuts, Mark Hollis sortait en 1998 un album solo éponyme, qui faisait suite à sept ans d’absence. Depuis cette date, le chanteur refuse d’apparaître en public. Il a déclaré vouloir se consacrer à sa famille.


SCOTT WALKER

  
Même s’il ne s’oppose pas aux interviews, Scott Walker, chanteur américain vivant en Angleterre, est célèbre pour sa production discographique très rare. Depuis les années 70, il n’a sorti que quatre albums, soit en moyenne un toutes les décennies.


BUCKETHEAD

  
Ce guitariste prodige américain n’a jamais montré son visage. Il se produit sur scène affublé d’un masque blanc et porte sur la tête un seau de pilons de poulet KFC, d’où son pseudonyme. Les rumeurs vont bon train pour tenter de percer le mystère de ce brillant « shredder » qui a sorti plusieurs dizaines d’albums depuis les années 90.


THE RESIDENTS

  
Actif depuis la fin des années 60, ce groupe américain déjanté est composé de membres anonymes, portant le plus souvent un masque en forme de globe oculaire. Leur univers étrange et leurs pochettes effrayantes en font un groupe totalement à part.


SYD BARRETT

  
Ancien membre du groupe Pink Floyd, dont il fut exclu pour sa consommation excessive de drogue, Syd Barrett a passé les trente dernières années de sa vie reclus près de Cambridge. Ses proches ont affirmé qu’il avait perdu tout intérêt pour la musique, et qu’il se passionnait désormais pour la peinture et l’art en général. Plusieurs sources se contredisent pour expliquer cette brusque rupture : selon certains, Syd Barrett était atteint de maladie mentale. D’autres affirment que sa consommation de LSD l’a brisé pour le restant de ses jours. Enfin, sa propre sœur a soutenu qu’il n’était absolument pas fou. Il meurt en 2006 à l'âge de 60 ans.


BILL WATTERSON

  
Récemment primé par le Grand Prix du Festival d’Angoulême, le dessinateur américain Bill Watterson, auteur de la fameuse série Calvin and Hobbes a décidé du jour au lendemain d’arrêter sa carrière, le 31 décembre 1995, alors qu’il était en pleine gloire. Intransigeant vis-à-vis de son œuvre (il a interdit toute exploitation commerciale des héros de sa série), il a définitivement tourné la page de la BD et se concacre désormais à la peinture, refusant toute interview ou apparition publique.


STANLEY KUBRICK

  
Aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma, Stanley Kubrick était un homme très discret, qui fuyait la notoriété, et vivait retiré dans son château anglais, ce qui contribua à sa légende. Dans les deux dernières décennies de sa carrière, les périodes de silence entre chaque film devinrent de plus en plus importantes : sept ans entre Shining et Full Metal Jacket et douze ans entre ce dernier et Eyes Wide Shut.


TERRENCE MALICK

  
Ce talentueux réalisateur américain est aussi une personnalité farouche et secrète. On connaît son visage grâce à quelques rares photos, sur lesquelles il apparaît toujours portant un chapeau. En 2011, il obtient la Palme d’Or au Festival de Cannes, mais il ne récupère pas son prix, n’étant pas présent à la cérémonie. Sa filmographie est peu importante (6 films en 40 ans de carrière) et il a délaissé la réalisation pendant 20 ans (entre Les Moissons du Ciel, 1978 et La Ligne Rouge, 1998).


MARTIN MARGIELA

  
Le couturier belge Martin Margiela peut facilement concourir parmi les artistes les plus secrets du monde. Une seule photo de lui circule sur internet. Il n’apparaît jamais publiquement et répond aux interviews exclusivement par fax.


BANKSY


Banksy est le pseudonyme d’un graffeur britannique. Rapide et discret, personne ne l’a jamais vu réaliser une de ses œuvres, d’où la fascination et la curiosité qu’il suscite. Certaines de ses peintures ont été découpées dans les murs pour être vendues aux enchères.

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