lundi 10 juin 2013

Suicides atypiques : d'Empédocle à Dominique Venner


En -435, au cours d’un exil qui l’affecte profondément, le philosophe Empédocle se jette dans le cratère bouillonnant de l’Etna. La légende prétend qu’on retrouva une de ses sandales. Après une tentative d’empoisonnement sur la personne de Frédéric II de Hohenstaufen, Pietro Della Vigna, homme politique sicilien, se fait crever les yeux. Humilié et moqué, il finit par s’éclater la tête sur les murs de sa prison, en 1249. Au XVIe siècle, le maître de thé japonais Sen, en disgrâce auprès du Premier Ministre, se fait seppuku, dépose ses viscères sur un plateau, et ordonne qu’on les montre au responsable de son suicide.

Ravagé par une ambition démesurée et déçu de n’être pas nommé à des postes encore plus prestigieux, le Marquis Jacques de Silly se jette par la fenêtre de son château natal et se noie dans les douves, en 1727. Victime d’une chute de cheval qui lui fit perdre la raison, le poète Nicolas Gilbert, 30 ans, devient paranoïaque et avale la clé du coffre qui contenait sa production poétique, en 1780. Le moraliste Nicolas de Chamfort, pourchassé lors de la Terreur en 1793, se rate au pistolet, se rate au rasoir, se fouille la poitrine, les jambes, se castre. Il mourra cinq mois plus tard dans d’atroces souffrances. Atteint de névralgie, l’écrivain Jan Potocki se tire une balle dans la tête en 1815 : pratique courante, à ceci près qu’il utilise une balle en argent et la fait bénir « au cas où Dieu existerait ». En 1820, le roi d’Haïti, Henri Christophe, qui avait toujours un petit revolver attaché autour du cou, se tire une balle en or dans le cœur. En juillet 1859, l’écrivain français Petrus Borel s’obstine à travailler la terre, malgré le soleil à son zénith. Ses proches l’obligent à se mettre à l’ombre, il ne veut rien entendre. Il meurt d’une insolation foudroyante. Suite à une chute, l’acrobate irlandais Thomas Hanlon devient fou. Il est interné. Le 5 avril 1868, rendu dément par des douleurs intolérables, il réalise des sauts périlleux dans sa chambre, en retombant volontairement tête la première sur un tuyau en fonte. Il lui faudra dix-sept sauts pour en finir. Le poète et dramaturge Armand Barthet, décrit comme arrogant et provocateur, perd la raison après un mariage raté. En 1874, alors qu’il est interné à l’asile d’Ivry-sur-Seine, il met fin à ses jours en s’émasculant à l’aide d’un rasoir. En 1886, des ouvriers grévistes sont chargés par la police. Quelques jours plus tard, des anarchistes défient les forces de l’ordre et lancent une bombe, qui fera sept morts chez les policiers. L’un des auteurs, Louis Lingg, 23 ans, est condamné à la pendaison. Refusant cette fin dégradante, il glisse un bâton de dynamite dans sa bouche et le fait exploser. Condamné par contumace pour complot contre l’État, le général Georges Boulanger doit affronter une autre épreuve : la mort de sa maîtresse. Le 30 septembre 1891, il se tire une balle dans la tête sur la tombe de sa bien-aimée, au cimetière d’Ixelles. La militante féministe anglaise Emily Davison, qui lutte pour le droit de vote des femmes, est une habituée des actions coup de poing. En 1913, à l’âge de 40 ans, elle se précipite sous le cheval de George V, lors du derby d’Epsom. En 1915, les troupes américaines envahissent Haïti. Indigné par cet impérialisme et par la traque féroce contre les résistants, le poète Edmond Laforest s’attache un dictionnaire Larousse autour du cou et se jette dans sa piscine. Revenant d’Angleterre à bord de son avion privé, le milliardaire belge Alfred Lœwenstein s’évapore purement et simplement lors de la traversée. Son pilote est incrédule. Pourtant, on retrouve le corps du banquier dans les eaux françaises le 19 juillet 1928. Dépressif, il a sauté en plein vol sans que personne ne s’en aperçoive. Le 2 décembre 1929, l’inventeur autrichien Karl Czerny prépare un suicide peu commun. Il relie le mécanisme de son réveil à un fil attaché au bouchon qui obture l’arrivée du gaz. Le lendemain matin, à l’heure où la sonnerie se déclenche, le fil s’enroule autour de la clé, tire sur le bouchon et libère le gaz qui l’asphyxie. Le 19 juin 1930, alors que le vernissage de sa nouvelle exposition est prévu le lendemain, le peintre Jules Pascin s’ouvre les veines des deux bras et écrit sur le mur avec son sang « Adieu Lucy », prénom de sa maîtresse. Comme la mort ne vient pas, il trempe ses bras dans l’eau chaude puis, de guerre lasse, se pend à une poignée de porte. Ignorée par le public comme par les producteurs, l’actrice américaine Peg Entwistle choisit une mort symbolique. Elle saute du haut de la dernière lettre de l’inscription HOLLYWOODLAND à Los Angeles, en septembre 1932. Comble du destin, son oncle reçoit quelques jours plus tard une proposition de rôle pour elle : le personnage principal, qu’elle était censée incarner, se suicide au dernier acte. Après le suicide de son fils en 1932, l’écrivain autrichien Gustav Meyrink, auteur du Golem n’a plus la force de vivre. Il s’assoit dans son fauteuil, torse nu, devant une fenêtre ouverte, en plein mois de décembre. Après avoir séjourné dans une maison de repos pour cause de surmenage, le comédien Paul McCullough va mieux. En mars 1936, son acolyte Bobby Clark, avec lequel il forme un duo comique vient le chercher pour le raccompagner chez lui. En chemin, ils passent chez le barbier. Après avoir plaisanté avec lui, Paul se saisit de son coupe-choux et se tranche la gorge. Malgré sa profession de psychiatre, l’américain Monroe Meyer montre des signes de fragilité nerveuse. Le 27 février 1939, il se tue sauvagement en se plantant un pic à glace dans le cœur. Samuel Vaughan, avocat et homme d’affaires américain richissime, est effondré. Il apparaît au grand jour qu’une de ses œuvres de charité dissimule des opérations frauduleuses. Il met fin à ses jours le 7 avril 1950 en se tirant une balle dans la bouche avec l’arme qui sert à donner le départ des régates du yacht-club. Connue pour se faire sectionner l’œil dans le film Un chien andalou de Buñuel, Simone Mareuil est touchée de plein fouet par l’apparition du cinéma parlant. En octobre 1954, elle met le feu à ses vêtements et répond à un voisin qui veut la sauver « Laissez-moi, je vous en prie. Je veux mourir ». Bijoutier milliardaire, Sam Resnick apprend qu’il est atteint d’un cancer incurable. Au lieu de mettre fin à ses jours de sa propre main, il engage par petite annonce quatre chômeurs qui l’étranglent avec un nœud coulant, en 1962. Pour protester contre le président catholique Diem, le bonze vietnamien Quang-Duc ne recule devant rien. Le 11 juin 1963, il s’assoit au milieu d’un carrefour, se fait asperger d’essence et immoler. Le 25 novembre 1970, le sulfureux écrivain japonais Yukio Mishima harangue les soldats d’une base militaire sur les valeurs du Japon éternel. Hué, l’auteur effectue le fameux seppuku traditionnel. L’un des membres de sa milice nationaliste « La Société du Bouclier », l’achèvera en le décapitant. En 1970, le poète d’origine haïtienne Ruben François s’installe au Québec. Quatre ans plus tard, il se suicide en pleine rue à Montréal en s’auto-immolant. Il avait 29 ans. Le 15 juillet 1974, la présentatrice de télé américaine Chris Chubbuck fait une annonce en direct aux téléspectateurs : « Vous allez assister à la première d’un suicide ». Elle sort alors un revolver et se tire une balle dans la tête. Le 25 septembre 1977, l’esthète et dandy Philippe Jullian se pend avec sa cravate au crochet d’une porte. Le 8 janvier 1982, le poète Fabrice Graveraux se rend à la soirée qu’a organisée son ex-compagne à Viareggio. Après avoir fait une scène, il se tranche les veines devant les invités et disparaît dans la nuit. Le lendemain, il est découvert mort sur une avenue de tilleuls dont il avait envoyé une photographie à chacun de ses amis. L’économiste américain Leonard Ross, conseiller du président Carter, est en proie à de violentes crises de mélancolie. Il se noie dans la piscine du Capri Motel de Santa Clara, en mai 1985. Jeune homme raffiné et autodestructeur, le chroniqueur rock Alain Pacadis est témoin des riches heures de la musique électrique des années 70/80. Le 12 décembre 1986, en rentrant d’une soirée, il demande à son compagnon transsexuel de l’étrangler. Le 22 janvier 1987, Budd Dwyer organise une conférence de presse, suite aux accusations de corruptions qui le visent. Au beau milieu de son discours, il sort une enveloppe contenant un 357 Magnum et se tire une balle dans la bouche. La vidéo de ce suicide en direct est disponible sur de nombreux sites internet. Brillant danseur et chorégraphe d’origine bulgare, Bantcho Bantchevsky avait fui le communisme pour les États-Unis en 1950. Pendant l’entracte de la représentation du Macbeth de Verdi, donné au Metropolitan Opera House de New York, le 23 janvier 1988, il se jette du balcon et s’écrase sur les fauteuils d’orchestre. Le 17 février 1989, alors qu’il doit donner une série de leçons de danse, le maître de ballet russe Boris Sinitsyn se jette à travers la vitre du 35e étage d’une des Galaxy Towers, à Guttenberg dans le New Jersey. Impliqué dans une affaire de financement occulte, le maire socialiste de Saint-Sébastien-sur-Loire, Yves Laurent, met fin à ses jours le 13 septembre 1991. Il s’attache à l’arrière de sa voiture et la fait exploser avec une bonbonne de gaz. Le 10 juillet 1993, l’international de rugby Armand Vaquerin propose à l’un des clients du Bar des Amis, à Béziers, une partie de roulette russe. Devant son refus, le joueur décide d’y jouer tout seul, et se tire une balle de Smith & Wesson. Le 24 août 1994, le pilote de ligne marocain Lounès Khayati provoque volontairement le crash de son avion. 44 passagers étaient à bord. L’écrivain de romans policiers américain Eugene Izzi, qui se plaignait d’être pourchassé par les milices paramilitaires de l’Indiana, est retrouvé pendu à la fenêtre de son bureau de Chicago le 7 décembre 1996. Son corps est vêtu d’un gilet pare-balles, et l’on retrouve dans ses poches des disquettes contenant le manuscrit d’un roman dans lequel le personnage principal est menacé par les milices paramilitaires de l’Indiana, qui tentent de le pendre dans son appartement. La police est persuadée qu’il a mis en scène son suicide. Le 4 octobre 1999, le peintre Bernard Buffet se donne la mort en se couvrant la tête d’un sac plastique, sur lequel il avait écrit son propre nom. Le 21 mai 2013, l’historien Dominique Venner pénètre dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris, se place devant l’autel et, devant une foule de touristes, se tire une balle de pistolet dans la bouche. Il entendait protester contre la décadence de la civilisation européenne.

Source : F. de Negroni, C. Moncel, Le Suicidologe, Le Castor Astral, 1997 + Recherches personnelles
Photo : Man Ray, Suicide.

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