Juillet 1975. Alors que le
courant hippie s’éteint de sa belle mort dans des simagrées puériles et des
slogans déjà ringards, un homme fourbit ses armes de destruction massive et
s’apprête à profaner le cimetière des légendes du rock en commettant l’album sacrilège
par excellence, celui qui siphonnera l’ensemble du rock’n’roll passé et à venir
et le subvertira jusqu’à l’extrême. L’aventure Velvet Underground s’est finie
en eau de boudin, et la carrière de Lou Reed semble bien promise à un avenir
radieux. En l’espace de trois ans, cinq albums, dont un live, sont sortis, et
Reed est toujours sous contrat avec RCA, qui exige la sortie d’un nouveau
disque. La légende voudrait que Reed se soit vengé en produisant volontairement
un album inaudible, ce qui est pour le moins sujet à caution. Nous allons voir
en quoi la double galette de TNT qui va sauter au visage de l’industrie du
rock, ne peut être réduite à un simple pied de nez.
Lorsque sort Metal Machine Music, personne au monde ne peut imaginer que le rock’n’roll puisse aller aussi loin dans l’horreur. Pour l’opinion publique de l’époque, frileuse et puritaine, les rugissements des MC5 passaient déjà pour insoutenables, et Led Zeppelin était considéré comme un groupe de hard rock au son brutal. Autant dire que lorsque Lou Reed fait entendre ce dernier opus à sa maison de disque, ses interlocuteurs n’en croient pas leurs oreilles. Pourtant, le contrat est formel : le chanteur doit encore un disque, quelle que soit sa valeur ou son style musical. C’est donc contrainte et forcée que RCA fait paraître l’objet non-identifié. D’emblée, les fans qui s’étaient rués sur l’album retournent chez leurs disquaires, furieux. Certains croient à une mauvaise blague, d’autres à un défaut d’enregistrement.
Lorsque sort Metal Machine Music, personne au monde ne peut imaginer que le rock’n’roll puisse aller aussi loin dans l’horreur. Pour l’opinion publique de l’époque, frileuse et puritaine, les rugissements des MC5 passaient déjà pour insoutenables, et Led Zeppelin était considéré comme un groupe de hard rock au son brutal. Autant dire que lorsque Lou Reed fait entendre ce dernier opus à sa maison de disque, ses interlocuteurs n’en croient pas leurs oreilles. Pourtant, le contrat est formel : le chanteur doit encore un disque, quelle que soit sa valeur ou son style musical. C’est donc contrainte et forcée que RCA fait paraître l’objet non-identifié. D’emblée, les fans qui s’étaient rués sur l’album retournent chez leurs disquaires, furieux. Certains croient à une mauvaise blague, d’autres à un défaut d’enregistrement.
Une heure quatre minutes. 4
pistes. Aucune parole. Aucune structure rythmique. Un déluge de larsens
bouillonnants, de feedbacks de guitares qui s’entremêlent, se brouillent dans
un magma sonore cauchemardesque. Dans son loft de Manhattan, Reed a
confectionné ce son toxique tout seul, avec deux guitares, deux amplis et un
magnétophone quatre pistes. Les guitares sont placées devant les amplis, pour provoquer
ce fameux « feedback ». L’écoute intégrale relève de la performance
tant les nerfs sont mis à rude épreuve. Toutes les musiques du monde suivent un
schéma précis : un certain nombre de mesures, de sections de percussions,
le tout formant un ensemble cohérent et mathématique. Ici, rien de tout
cela : un véritable mur sonore a été créé, un bloc formé de strates
densément empilées. Dans ce torrent de métal en fusion, on croit entendre un
bagad sous speed jouer sur des cornemuses hurlantes. Des plaintes de violons
électriques. Des fragments d’hymnes nationaux empoisonnés. Des extraits d’œuvres classiques déformées (Reed assurait avoir intégré des morceaux de symphonies de Beethoven). Des cris de rongeurs
ou d’oiseaux. Le klaxon d’une voiture ou encore le rotor d’un hélicoptère qui
planerait sur ce champ de bataille apocalyptique. Tout semble avoir été fait
pour pousser l’auditeur dans ses derniers retranchements, jusqu’au malaise,
jusqu’à l’enfer.
Sur la pochette, le chanteur pose
fièrement, l’air hautain et dédaigneux, planté dans
l’obscurité. Le sous-titre sibyllin de l’album, The Amine ß Ring ainsi que les notes incompréhensibles et la liste
d’instruments fictifs utilisés lors de l’enregistrement ajoutent un aspect inquiétant,
voire hermétique à cette œuvre vénéneuse. Comme si tout cela résultait
d’invocations quasi-ésotériques, d’un tête-à-tête avec le Malin. On pourrait y
voir en effet l’œuvre la plus diabolique de l’histoire de la musique, dépassant
de quelques coudées les monstruosités sataniques de Mayhem, Slayer ou du
sulfureux Boyd Rice, membre de la Church of Satan, jamais aussi heureux que
lorsqu’il peut se déguiser en nazi. Ici, Lou Reed n’a pas besoin d’en faire des
tonnes pour faire suffoquer le malheureux qui s’est pris dans sa toile. Ce son
épouvantable évoque en nous des peurs ancestrales, l’angoisse métaphysique la
plus profonde, un univers dans lequel nul secours n’est à espérer, un temple
maléfique fait de solitude et de hurlements primaires. Quelque chose de
primitif et de fondamental qui nous infeste et nous ravage avec violence, comme
pour nous faire voir l’envers de ce qui nous entoure. Le respectable Lou Reed,
considéré aujourd’hui comme une référence, n’avait quasiment plus besoin de
sortir de disque après ce voyage express vers l’enfer. Tout était résumé en une
heure de temps, le rock’n’roll n’avait plus lieu d’être, et ce ne sont pas les
gesticulations faussement subversives des Sex Pistols, deux ans plus tard, qui
concurrenceraient ce monument de musique malsaine.
Le rock critic Lester Bangs y
voyait le plus grand album de rock jamais réalisé. Aujourd’hui encore, presque
40 ans après sa sortie, on est loin d’avoir fait le tour de ce projet
monumental, qui était programmé pour ne jamais s’arrêter (la symbolique du
locked groove, sillon sans fin, qui faisait se répéter les derniers instants
oppressants du disque, n’est pas due au hasard). Lou Reed n’a jamais renié ce
disque, il lui a au contraire réservé une place à part dans sa discographie.
Celle d’une œuvre ultime, inimitable, qui n’en finit pas de hanter le rock.
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