lundi 27 mai 2013

"On the Beach" de Neil Young, ou la gueule de bois des 70's



Les années 1970 sont communément perçues de nos jours comme une décennie de joie, d'insouciance et d'hédonisme. Notamment aux Etats-Unis, où l'on se prend à regretter la liberté -tant spirituelle que sexuelle- d'une époque où l'on vivait plus facilement, au son d'un funk ou d'un rock de meilleure qualité. Il y a à coup sûr du vrai là-dedans...pas mal de fantasme aussi. En effet, il est frappant de constater à quel point les années 1970 furent considérées par nombre de contemporains comme une période de déclin, annonciatrice d'un futur encore plus sombre. Outre-Atlantique, quelques artistes, et pas des moindres, cristallisèrent ce sentiment via des oeuvres passées depuis à la postérité. Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese ou Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola, pour ne citer que les plus fameuses, présentent une Amérique en pleine crise de conscience, rongée de l'intérieur par des démons de plus en plus envahissants, qui, bien plus que de perdre son rang, craint de sombrer dans la violence et la barbarie*. Les artistes rock parmi les plus talentueux ont également rendu compte de ce sentiment. Un sentiment proche de la gueule de bois.

Neil Young est de ceux-ci. Le Canadien a connu le succès dès la seconde moitié des années 1960 avec son groupe Buffalo Spingfield (ça c'est eux). Comme l'écrasante majorité de ses collègues rockeurs, le chanteur-guitariste fut emporté par le tourbillon opiacé des sixties, avec son lot d'idéaux pacifiste, progressiste et libertaire. Une période de fête totale, non-stop et sans limte, digne des seuls dieux de l'Olympe. D'où la gueule de bois carabinée qui s'en suivit. Très vite, les excès eurent raison d'un tas d'hommes et de femmes dans la fleur de l'âge. Neil Young perdit deux de ses amis proches : le guitariste Danny Whitten (membre du Crazy Horse, formation qui l'accompagnait lorsqu'il entamât une carrière solo) et le roadie Bruce Berry, emportés par l'héroïne.
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En 1974, année de parution de l'album "On the Beach", Neil Young est au fond du trou. A la disparation de ses deux amis s'ajoutent de nombreux problèmes d'ordre personnel -une addiction à la cocaïne, son couple qui bat de l'aile- et professionnel -de l'eau dans le gaz avec sa maison de disques. C'est donc littéralement déprimé que le garçon enregistre son septième opus. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cela s'entend. "On the Beach" est un disque profondément mélancolique. D'une mélancolie désenchantée, quasi curarisante, loin de celle, douce et champêtre, qui colorait ses précédentes oeuvres. La voix surprend par sa fragilité, voire son atonie, là où elle retentissait jadis avec éclat. Elle semble psalmodier sur des compositions qui, là encore, sont aux antipodes du folk-rock tantôt ardent, tantôt bucolique qui firent la notoriété du "Loner". Ici, les accords de guitares lancinants serpentent tristement sur une rythmique dépouillée et indolente, ornés ça et là par un harmonica ou un fiddle aux sonorités poignantes.

Neil Young règle alors ses compte avec le passé. L'album s'ouvre sur Walk on, chanson ensoileillée et guillerette, mais ô combien trompeuse. Le titre suivant, le bien-nommé See the Sky About the Rain, donne le véritable ton de l'album. La fête est finie, le rêve hippie est mort, le présent est bien triste. Dans Revolution Blues, l'ex-Buffalo Springfield se met dans la peau de Charles Manson, le gourou sataniste qui ensanglanta l'Amérique en plein Flower Power...Sur "On the Beach", les chansons se succèdent et la mélancolie va crescendo. Le paroxysme du spleen est atteint avec le long final qu'est Ambulance Blues. Neil Young y répète une sombre litanie, qui fait office à la fois de synthèse et de conclusion : 
"You're all just pissin' in the wind you dont know it but you are. And there ain't nothin' like a friend who can tell you, you're just pissin' in the wind."
Illusion lyrique et retour fracassant du réel. Rares sont les artistes de cette époque qui ont su exprimer avec tant de lucidité et d'acuité le sentiment de désenchantement qui imprégnât les années 70. Seul David Crosby et son "If I Could Only Remember My Name" (1971) peut prétendre rivaliser avec le Canadien. Presque quarante ans plus tard, "On the Beach" conserve toute sa puissance émotionnelle et son amer désenchantement. Il figure sans conteste parmi les meilleurs opus de Neil Young, et les plus grands chef-d'oeuvres de la décennie. Ou quand la petite histoire éclaire la grande...


* Pour rappel, les années 1970 aux Etats-Unis sont celles de la défaite au Viet-Nam et du scandale du Watergate. La criminalité et la drogue se répandent. La décennie d'achève avec la présidence catastrophique de Jimmy Carter (montée du chômage, baisse du dollar, seconde crise pétrolière, prise d'otages de Téhéran).

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