L'alcool commence à faire son petit effet. Je rentre juste à temps pour voir s'installer le quatrième groupe de la soirée "Talents de Demain". Un collectif rap d'après la dégaine des types qui investissent les lieux ; s'y distingue un DJ obèse déjà en sueur avant même le début du set. Je fends la foule afin de rejoindre Gwen qui discute et s'esclaffe avec le petit groupe de punks à chien. Précisons que ces derniers sont pour l'occasion sans chien. "Alors, tu trouves ça comment ?" me demande-t-elle. "Bof, mis à part le ska. Mais la bière est pas chère". Elle éclate d'un rire gorgé de houblon, puis quitte à son tour la salle, n'ayant pu vraisemblablement résister à la proposition des punks à chien sans chien d'aller s'en fumer un gros dehors. Allez hop, j'enchaîne avec une autre bière. Le bénévole-serveur barbu de l'association "Culture Extensive" me sert tout en me parlant avec un sourire qui se veut complice. Manque de pot, je ne comprends absolument que dalle à cause de la musique qui reprend de plus belle. Je fais quand même semblant de comprendre et lui souris en retour. Je me surprends même à rire assez grassement. Honteux, je préfère fuir pour rejoindre les abords de la scène, sous un déluge de beats old school doublée de basses pachydermiques. N'ayant pas prêté attention au nom du groupe préalablement présenté, il m'est hélas impossible de mettre un nom sur les cinq "jeunes de cité" qui s'excitent alors sur scène.
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Comme précédemment avec "le SKA'phandre et le noeud papillon", je ne pige pas grand chose aux paroles. Faut dire que le chanteur colle tellement le micro à sa bouche qu'on a l'impression qu'il est en train de le manger. Les instrus sont de bonne facture, même si je reconnais quelques samples déjà utilisés dans le milieu -mais bon, je ne me fais pas d'illusion, rares sont les rappeurs véritablement créatifs musicalement. J'arrive à saisir des bribes de phrases clairement hostiles à la police, au gouvernement et à toutes formes d'autorités étatiques. Nous avons affaire à du rap engagé. Le public exulte et en redemande. Tout à coup, un wigger surgit de nulle part et improvise une danse hip-hop au beau milieu de la foule. Il veut manifestement en imposer, mais rate complétement sa prestation. Heureusement pour lui, seuls deux types -sûrement deux de ses potes- prennent la peine de l'observer, le reste de l'assistance n'ayant d'yeux que pour les "Talents de demain" en représentation. Je ressens à cet instant une réelle pitié pour ce malheureux breakdancer avec son air de Frédéric Diefenthal famélique travesti en Kanye West du dimanche. Il se relève tout penaud, conscient de son bide intersidéral, le froc trempé par la bière qui stagne par flaques sur le sol.
L'ambiance monte d'un cran lorsque, sur un sample d'Honky Tonk de Miles Davis, le chanteur au micro dans le gosier exhorte la foule à "s'ambiancer" avec fureur. Les filles de la fosse, comme possédées par le démon de la musique, exécutent des danses lascives directement inspirées des clips de rap US. Revenue depuis peu, Gwen y prend part sans demander son reste, ce qui n'est pas pour me surprendre et encore moins me déplaire. En retrait et sous effet total de stupéfiants, le petit groupe de punks à chien sans chien gigote à contre-temps à l'instar de teufeurs devant un sound system. C'est sur ce coup d'éclat que se termine la performance du collectif. En guise d'adieux, le chanteur microphage appelle l'assistance à "entrer en résistance contre le fascisme d'Etat". Chauffée à blanc, celle-ci approuve l'harangue avec force cris de joie et applaudissements. Etant allergique au panurgisme, je refuse pour ma part de bêler avec les moutons ; ça flatte mon ego. Le chanteur à la bouche de micro n'en reste pas là et, galvanisé, se fend d'un "luttons ensemble contre le sionisme !" A cet appel, certains jubilent de plus belle, tandis que le gros de la salle reste interdit. Rumeur d'incompréhension puis d'affollement. Très vite, le micro est coupé et un membre de "Culture Extensive" arborant un rictus d'embarras se précipite sur scène pour annoncer le groupe suivant, qui sera hélas le dernier.
La salle Rosa Luxembourg est désormais le théâtre d'un joyeux bordel. Un type gerbe sur les pompes de son voisin, tandis qu'un peu partout des joints s'allument sans scrupule. Un groupe de jeunes étudiants claironnent Vivre d'Amour de Natasha Saint-Pier et Anggun à la façon d'une chanson paillarde, et des filles ivres mortes se roulent des pelles tout en gloussant bruyamment. Les punks à chien sans chien sortent d'on ne sait où un pack de Kro et entament joyeusement une partie de caps. Gwen, mi-saoule mi-défoncée, continue de danser comme une bitch pendant que je lui frappe les fesses avec des tickets resto, comme l'aurait fait n'importe quel gangsta avec une liasse de dollars. C'est alors que déboule, tel un diable surgissant de sa boîte, l'Anglais, celui qui voulait subtiliser ma bière dehors. Le bougre, complètement allumé, se précipite vers moi en m'assénant un vindicatif "fucking dickhead". Le connard, je vais me le faire. Mais Dieu punissant les âmes trop hardies, l'Anglais glisse sur un flaque de bière et se mange méchamment la gueule par terre. Retentissent alors les accords sauvages du dernier groupe subtilement nommé "Death to Assholes". J'éclate de rire et me dirige vers le bénévole barbu pour me commander une ultime bière.
BARBAROSSA
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