dimanche 4 août 2013

Le Congrès de la Fondation (Partie 1)

Chapitre Premier


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A l’occasion du congrès du Fumoir, Barbarossa m’a demandé de rédiger un compte rendu de ce qu’il s’était déroulé durant ces deux derniers jours. Vous connaissez sans doute ma passion pour l’écriture et l’amour que je porte à la science-fiction, aussi je n’ai pu m’empêcher d’imaginer une frasque s’inspirant des évènements qui se sont déroulés durant ces deux jours de folie. Lorsque je contacta Barbarossa pour lui demander son avis, il avait l’air intéressé par la chose et m’encouragea à poursuivre dans cette voie. Voici donc, aujourd’hui, l’histoire de notre aventure, à la sauce futuriste, mouvementé, avec un soupçon d’epicness, pour rendre le tout pimenté. Bonne lecture ! ;)



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L’écran holographique irradiait de lumière ma modeste chambre dans une atmosphère non sans rappeler l’ambiance des cellules carcérales. Il faut dire que je n’étais pas le plus chanceux des citoyens, une pièce merdique, quelques broutilles de ci de là, et des dettes à ne plus savoir quoi en faire. La cité-spatiale de Rheims n’avait rien à envier au luxe des grandes capitales, mais pour ceux qui n’avaient pas de peau, la vie à bord de la station n’était pas de tout repos. J’étais un type normal, sans problème, sans responsabilité. J’essayais de faire ma place dans ce petit monde, comme tout un chacun. Un jour j’avais participé à l’édition journalistique d’une revue illégale, le genre de réseau d’information un peu underground, pas très bien apprécié par les autorités. Et je crois bien que c’était là ma plus grande erreur, ou peut-être ma plus grande réussite.

Il faut croire que l’univers avait décidé, ce jour là, de ne pas me laisser dans ma tranquillité, et de me sortir de cette torpeur cadavérique. Le voyant lumineux de mon datapad s’activa, signalant l’arrivée d’un nouveau message. L’hologramme était trouble, presque effacé. Celui qui avait enregistré le message devait certainement être dans une zone de perturbations magnétiques. Pour ma part, j’en avais rien à faire de cet énième message publicitaire. Mais lorsque le ton devint sérieux, je sentis comme une once de curiosité envahir mon esprit. Un vieux type, mal rasé, habillé comme le dernier des ivrognes, apparut dans la projection tridimensionnelle de l’émetteur. Sa silhouette nonchalante et son air neutre insufflait une étonnante aura d’amicalité.

« Monsieur Tel’Khas, je suis le capitaine Brab Assora, votre dévouement pour la Fondation a été remarqué par ses membres émérites. Je dois dire que tout le monde est surpris, et nous aimerions vous voir participer au Congrès. Votre présence nous honorera. Rendez-vous au centre stellaire, et rejoignez la villa de l’éminence Kyrios. Là bas, nous pourrons vous en dire plus sur la suite des évènements. »

Il avait du culot celui là. M’envoyer sa gueule, le lieu du congrès et les membres appartenant à l’organisation criminelle, c’était risqué, très risqué. J’en ai rapidement déduit qu’ils savaient qui j’étais, un vieux pommé de la vie, célibataire et sans le sous, qui n’avait plus rien à perdre et tout à y gagner dans ce genre d’organisation. Les autorités impériales ne me surveillaient pas, alors autant profiter de l’occasion pour me faire une petite réputation. J’attrapais mon holster fourni d’un flingue à impulsion laser[1] et enfilais un pantalon pour me préparer à cette rencontre exotique, et quittais ce qui me servait de trou à rat. Sans le savoir, je venais de prendre la plus importante décision de ma vie.

Rheims, riche cité-spatiale, haut-lieu du luxe et du Panchagne, un alcool très prisé dans le système, peut-être même l’alcool le plus cher coté en bourse. La pègre avait la main mise sur tous les quartiers, et était de mèche avec le bureau fédéral de la ville. Les habitants s’en foutaient royalement de tout ça et vivaient leurs quotidiens dans la dévotion la plus aveugle. C’était pareil pour moi, j’errais dans les corridors et les ruelles avec pour seul but en tête de changer ce qui me servait de vie. Certains citoyens, et ça se voyait, avaient le cerveau lobotomisé, d’autres n’allaient pas tarder à rejoindre la cohorte de zombie qui servait de peuple aux hautes personnalités politiques, corrompus par l’avidité et le pouvoir. Sans m’attarder sur cette misérable réflexion philosophique, je rejoignis rapidement la fameuse villa de cette petite bande organisée. Le portail s’ouvrit lorsque je sonnai, et je découvris rapidement les lieux en question.

L’ambiance était chaleureuse, faussement amicale. Après avoir suivis un long tunnel jonché de tuyaux et autres grillages, j’arrivais dans une pièce éclairé par un hublot de taille humaine. Le baron Kyrios se présenta à moi, dans le plus sommaire des accoutrements. Dans la pièce, un couple discutait d’affaires locales autour d’un écran holographique et manigançait certainement quelques entourloupes notoires. Je reconnu, assis à une table, le capitaine Assora. Ils me présentèrent une jeune femme, assez séduisante, du nom d’Eiphos. Elle croisa les jambes avec une certaine sensualité érotique et m’invita à siéger autour de leur petit banquet festif.

-          Monsieur Tel’Khas, annonça Brab Assora, c’est un plaisir de vous voir en personne. J’imagine que vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que nous vous faisions passer une petite batterie de tests. C’est juste une façon de savoir si vous n’êtes pas dangereux pour la Fondation.
-          Non, répondis-je en jetant un regard dissimulé vers la jolie femme. Faites-moi passer tous les tests que vous voulez, je ne travail pas avec les fédéraux.
-          Fort bien, répondit le capitaine en se penchant vers moi. Veuillez remplir ceci avec la plus grande honnêteté. Si vous faites la moindre erreur, et nous le verrons, nous n’hésiterons pas à vous abattre séance tenante.

Il me décocha un putain de sourire pervers tout en déposant entre mes mains un projotab[2]. J’étais vraiment dans la merde jusqu’au cou, d’autant plus qu’un molosse se positionna derrière moi, avec ce qui me semblait être un fusil pulsar à la ceinture. Le genre d’arme qui vous carbonise le cerveau sans laisser la moindre trace derrière elle. J’attrapais le projotab et remplis, tranquillement, le questionnaire. Il était question d’identifier des images, de reconnaître certaines choses et d’autres. Sûrement un mot de passe pour savoir si j’étais digne de confiance. Je fis une petite erreur, mais Assora passa l’éponge. Par contre, pour la séduisante Eiphos, c’était impardonnable, semblait-il.
-          Il a fait une erreur, ici. Avait-elle dit.

J’avais certainement un ange gardien, car le baron s’interposa et m’amnistia d’une parole encourageante. Tout le monde s’installa alors autour de la table, et la réunion commença. Ils parlèrent de plans à effectuer dans la nuit qui allait suivre, de rencontres à faire, de missions à effectuer. On aurait dit qu’ils préparaient un attentat – et c’était loin d’être seulement ça.

-          La population doit être sauvée de l’empirisme de l’idiotie, annonça le baron. Il nous faut apporter les lumières au peuple et l’empêcher de sombrer dans un primitivisme social.
-          Je suis d’accord avec vous mon ami, répondit Brab Assora. Il est temps d’agir. Nous allons profiter de ce Congrès pour frapper fort. En tirant sur la corde sensible de la noblesse rhemoise, nous avons des chances de provoquer une réaction en chaîne.
-          A l’heure actuelle, il y a très peu d’holospectateurs de nos transmissions. Il nous faut faire un coup de maître en commençant la contre-propagande. J’ai pensé à nous servir de la tour de propagation d’ondes radio, dans le quartier nord de la cité. Cette zone, le Siar Amrialc, est un point majeur de diffusion holographique. Si on arrivait à faire passer notre message de liberté, nous aurons certainement plus de partisans. Notre ami Tel’Khas ici présent est la preuve qu’il existe encore des citoyens dotés d’esprits indépendants.
-          Effectivement. Votre plan pourrait marcher, mais nous déclencherons alors une guerre civile au sein de la cité, ce qui pourrait engendrer de lourdes pertes de notre côté, sans parler des victimes collatérales.
-          Nous n’avons pas le choix. Au moins, lorsque la guerre sera déclarée, les citoyens devront choisir un camp, et nous serons libérés du carcan de la pensée unique. Capitaine Assora, si la guerre est déclenchée, au moins, les citoyens auront quelque chose à faire, plutôt que de s’abrutir et périr d’ignorance.
-          Vous avez certainement raison. J’imagine que notre nouvel ami pourra nous aider dans cette opération. N’est-ce pas ?
-          Euh… Oui, répondis-je timidement, n’en ayant rien à foutre en réalité.
-          Nous devons intervenir rapidement, termina le baron. Avant de partir je vais devoir passer dans le purificateur[3] afin d’enlever toute trace de mon ADN, et nous pourrons ensuite passer à l’étape suivante.
-          Fort bien, cher ami. En attendant, répondit le capitaine en me regardant, je vais montrer quelques fichiers à notre nouvel ami. Il faut qu’il soit informé de certaines choses concernant la Fondation.

Après avoir vu de nombreuses images compromettant les nobles locaux, Kyrios revint équipé d’une combinaison fortifiée et d’un armement d’un calibre assez important. Il avait l’air prêt pour la guerre. Le cigare entre les dents, il n’eut à peine le temps de dire quoique ce soit avant de constater une anomalie dans les projections holographiques.
-          Quelque chose ne va pas, souffla-t-il. On dirait que nos écrans ont été brouillés par quelque chose[4].
-          Seigneur ! Les fédéraux nous ont repéré, il faut partir, vite !

Le capitaine s’était levé d’un coup, j’ai alors cru que c’était la fin pour moi. Le portail de la villa venait d’exploser littéralement, précédant l’infiltration d’une dizaine d’agents impériaux dans les locaux. Les gardes défendirent la place avec la plus grande bravoure, mais les hommes d’états étaient bien trop armés pour qu’il y ait la moindre chance de les repousser. J’attrapai mon pistolet et déversa quelques salves en direction des agents. Je crois bien que dans la mêlée, j’en ai tué deux ou trois. A côté de moi, un homme venait de recevoir un rayon laser en plein dans la cage thoracique, ce qui eut comme bel effet de lui creuser un trou béant dans le cœur, de le tuer sur place, et de projeter des morceaux de ses poumons sur ma jolie veste. Enfoirés de fédéraux, aucun sens de la propreté quand il s’agit de combat.
-          Tel’Khas, suivez-moi !

Le capitaine m’attrapa l’épaule et me tira dans l’arrière sale. Là, le baron ouvrit une coursive et s’y engouffra, suivi de Brab et moi-même. Derrière nous, les bruits des combats retentissaient à travers les tuyaux des corridors. Un beau raffut qui attirerait certainement toutes les autorités du coin. On suivit plusieurs couloirs et accès privés avant de rejoindre une artère principale de la ville. On était trois survivants, le reste avait certainement péri dans la fusillade ou se faisait trainer de force dans les geôles impériales où la lobotomie les attendrait. Je crois bien que j’ai eut la peur de ma vie ce jour là, j’aurais pu pisser dans mon froc, mais la présence éloquente du capitaine et l’assurance du baron quant à la suite des évènements me réconforta quelque peu. Mon arme était encore chaude des coups que j’avais tiré, et les regards effrayés des passant me rappela que j’étais en pleine rue, face à des civils, une arme à la main. La fuite n’était pas terminée, elle ne faisait que commencer.

-          Qu’est ce qu’on fait maintenant, capitaine ? Questionnai-je en rangeant mon arme dans son holster.
-          Nous n’avons plus le choix, il nous faut rejoindre la planque de Niwdul le Râleur, un partisan à la cause et membre émérite de la Fondation. Lui saura certainement quoi faire. On devra passer à une armurerie publique avant de le rejoindre, la guerre est sur le point de commencer, et nous devrons fortifier nos positions.

Ce capitaine Assora avec un charisme étonnant, sa façon de parler, de se déplacer, et de dialoguer avec le plus grand calme montrait qu’il s’agissait là d’un grand leader, un père fondateur. Le baron quitta notre groupe au croisement d’une ruelle, il devait rejoindre un autre lieu afin de regrouper d’autres combattants. Le capitaine et moi nous rendîmes devant une société d’holopublicité dans laquelle se cachaient des sympathisants[5]. Il faut dire que pour des défenseurs de la liberté culturelle et de l’émancipation de l’esprit humain, travailler dans un centre de propagande mercantile était la plus savante des couvertures. Personne ne les soupçonnerait, eux qui se chargeaient de travailler pour les grandes corporations, en effectuant des études sur la façon dont on devait abrutir les individus, d’être de mèche avec la Fondation. Je cru même reconnaître un coup de génie derrière cela. Le capitaine Assora possédait beaucoup plus de ressources qu’il ne semblait le montrer.

Devant l’édifice imposant de la société Déficient III, le capitaine et moi rejoignîmes ce fameux Niwdul. C’était un homme assez frêle, coiffé d’une longue chevelure attachée et vêtu d’un accoutrement particulièrement neutre. Il était accompagné d’un ami à lui, un certain Nod’Oni Maineb, également connu chez eux sous le pseudonyme de Ben la Référence. Entre nous, je préfère largement son deuxième nom, beaucoup plus facile à retenir. Les deux hommes étaient légèrement armés, et on aurait dit que Ben portait en bandoulière un prototype de canon laser rétractable. Le capitaine leur expliqua la situation :
-          La villa a été attaquée par les fédéraux, je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre notre nouvelle recrue, Tel’Khas, avec nous. Niwdul, il nous faut trouver protection dans votre planque.
-          Aucun problème (ce Niwdul avait l’air concis et direct).
-          Puis-je me joindre à votre compagnie, se prononça Ben.

Ce qui m’a toujours étonné, dans les lois de Rheims, c’est l’autorisation à chaque citoyen de porter une arme, tant qu’elle n’était pas chargée[6]. La plupart du temps les habitués s’entraînaient dans les stands de tirs, d’autres n’hésitaient pas à se pavaner dans les ruelles avec leurs petits joujoux accrochés à la ceinture. Mais un agent impérial ne pouvait jamais voir, de loin, si une arme était chargée ou non. Les lois ont cette chose magnifique de n’être comprises que par ceux qui en sont exclus, et de ne s’appliquer que lorsque le brigand rencontre l’ordre. En dehors du regard de la justice, les lois ne s’appliquent plus, et l’anarchie règne tant que ses actes ne sont pas surveillés. Pour nous, membres de la Fondation, lâchés dans la cité-spatiale, c’était comme de vivre un grand frisson à chaque instant. Si d’apparence on ne faisait rien d’illégal, la moindre arrestation prouverait notre appartenance au groupe de penseurs, signant alors la fin de notre existence. Vivre en dehors de la loi a toujours eut un petit côté excitant, stimulant.

Lorsque nous arrivâmes saints et saufs à la planque, nous nous préparâmes aux combats. Le baron Kyrios ne tarda pas à nous y rejoindre, plus armé qu’il ne l’était lorsqu’il nous avait quitté, et nous pûmes entamer les préparations pour le déclenchement de la bataille. Le capitaine Assora se tourna vers moi, un regard emplit de compassion et de complicité. Et c’est à ce moment que je me suis rendu compte que je venais d’être accepté dans leur groupe, dans la Fondation. C’est après ses mots que je compris que j’étais l’un des leurs :
-          Tel’Khas, ce soir, votre esprit se libérera. Vous ne pourrez plus faire marche arrière, et vous vous affranchirez définitivement de la barrière sociale qui vous confine depuis votre naissance. Vous allez connaître le bonheur que procure un esprit libre et vous engouffrer dans le chemin du libre arbitre, des choix et des responsabilités qu’ils incombent. Ce soir, nous nous battrons contre la dictature. Ce soir, nous vaincrons, ou nous mourrons.

Je jetais alors un coup d’œil à travers le hublot de la planque, afin d’observer cette cité-spatiale depuis notre point d’observation. Les innombrables panneaux publicitaires illuminaient les ruelles, les véhicules se déplaçaient en sillonnant les voies qui leur était imposées, les passants, vides de pensées, arpentaient les rues dans une quête interminable de cyclicité monotone et contre-productive. Je sentais que nous allions réaliser de grande chose, que nous allions changer quelque chose ici bas. Je ne saurais vous dire quoi, ni même comment nous le fîmes. Mais ce que je sais, c’est que cette nuit là, de nombreux évènements vinrent modifier mon quotidien. Et même si aujourd’hui ma vie reste la même qu’avant ces évènements, je crois bien que de les avoir vécu a changé une partie de mon être. La bataille que nous mènerions m’a sans doute changé.

La suite, je vous la raconterais plus tard. En attendant, je dois m’affairer à la tâche qui m’a été confiée.


« Ici Tel’Khas, je ne sais pas combien de temps il me reste avant que les fédéraux me retrouvent. Mais si vous écoutez ce message, c’est que je suis encore en vie. Ne baissez pas les bras, n’abandonnez pas vos rêves, ne trahissez pas vos  idéaux. Ne cédez pas au pouvoir de la pensée unique. C’est par la réflexion personnelle que nous avançons, par les choix que nous faisons que nous dessinons notre futur. En attendant les jours meilleurs, gardez la tête haute, marchez, et avancez aussi loin que vous le pourrez. Avancez au-delà des barrières, au-delà des murs. Avancez toujours plus loin. Avancez. »


Dans le prochain épisode, nous parlerons… de l’Eriction !

CASTELLON




[1] Un téléphone portable, tout bêtement.
[2] En réalité, Barbarossa et Kyrios m’ont tendu un bloc-note sur lequel étaient inscrit des énigmes complètement connes comme « entoure ton nom » ou « trouve une chanson de Michel Sardou grâce à ce dessin ».
[3] Il est parti prendre une douche, très épique !
[4] L’écran de l’ordinateur portable de madame Kyrios avait reçu un pet, et de ce fait, ne fonctionnait plus. Toute une aventure !
[5] Pas de doute, l’article du Râleur Nonchalant en parle directement, il s’agit d’une société de phoning.
[6] Ou plus facilement : de se trimballer dans les rues avec une bouteille, tant qu’elle n’était pas décapsulée. 

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