mercredi 13 août 2014

I love you Miles Davis (1/3)

Miles Davis (session d'enregistrement de Porgy & Bess, 1958)

On peut affirmer sans sombrer dans l'éloge pompeux que Miles Davis (1926-1991) figure parmi la poignée d'artistes qui ont marqué au fer rouge le XXe siècle. Ce trompettiste américain n'a eu de cesse de défricher le jazz, en s'affranchissant de ses carcans harmoniques, puis en l'ouvrant à des styles musicaux jusqu'alors hermétiquement cloisonnées (rock, pop, funk) tout en y intégrant de nouveaux instruments, électriques notamment. Cet insatiable goût pour l'aventure musicale allait de pair avec la volonté de s'entourer des jazzmen les plus prometteurs puis de laisser libre cours à leur créativité. Ainsi, sous l'égide du "Prince of Darkness", de grands talents ont-ils éclos : Gerry Mulligan, John Coltrane, Herbie Hancock, Joe Zawinul, Chick Corea...Père du cool et du jazz rock, parrain de l'acid jazz et du style fusion, Miles Davis a révolutionné le jazz et, partant, la musique occidentale au travers d'une centaine d'albums (studio et live). Bien que nombre de ses thèmes figurent parmi les plus populaires du répertoire mondial, son oeuvre reste trop méconnue du grand public. Voilà pourquoi j'ai entrepris de retracer en trois temps la carrière de cet artiste littéralement génial. Une rétrospective qui fait office d'initiation aux néophytes, de redécouverte pour les connaisseurs et, assurément, de déclaration d'amour de la part de son modeste auteur.

JERU (Gerry Mulligan) - BIRTH OF THE COOL, 1949 (*)

Après quatre ans passés à multiplier concerts et enregistrements sous la tutelle des grands jazzmen de l'époque (Charlie Parker, Dizzy Gillepsie), Miles Davis publie à 24 ans ses premiers 78 tours. Et déjà il sort du lot. Là où les formations de jazz se partagent entre petits groupes (du quintette au septette) et énormes big bands à la Duke Elligton, le trompettiste est à la tête d'une formation intermédiaire composée de neuf musiciens. Jeunes et prometteurs (on y trouve Gerry Mulligan ou Lee Konitz), ils jouent une musique douce-amer et feutrée, à l'opposé du be bop et de son ambiance extatique alors à la mode. Le cool jazz est né. Sur scène, Miles Davis impose également son style ; peu souriant, mutique, distant : il refuse de faire le show contrairement à ses aînés (Louis Armstrong par exemple). Les graines du génie sont semés.



DEAR OLD STOCKHOLM (traditionnel) - 'ROUND ABOUT MIDNIGHT, 1957

En entrant dans le cour des grands, Miles Davis connaît ses premiers déboires avec la drogue, d'autant plus qu'il peine à trouver une formation stable. C'est chose faite en 1955 avec la composition d'un quintette de haute volée : Paul Chambers à la contrebasse, Red Garland au piano, Philly Joe Jones à la batterie et surtout le jeune prodige John Coltrane au saxophone. Sous la houlette d'un Miles Davis devenu clean, la quinte royale participe à la réalisation de son premier chef d'oeuvre : 'Round About Midnight. Jusqu'alors classique bien que de bonne facture, le jeu du trompettiste se démarque par son timbre velouté mais puissant. Allié au saxophone incandescent de Coltrane, il accouche d'une des combinaisons les plus singulières et magiques de l'histoire du jazz. Deux grands standards s'imposent sur cet album : le titre éponyme et le succulent Dear Old Stockholm.



NUIT SUR LES CHAMPS-ELYSEES (Miles Davis) - ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD, 1957

En une seule nuit (du 4 au 5 décembre, entre 22h et 2h du matin), Miles Davis, accompagné pour l'occasion de musiciens français, enregistre à Paris la musique d'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle. Ayant visionné le film préalablement une fois, l'Américain improvise devant l'écran comme expliqué ici. Ce n'est pas la première fois qu'il vient en France, terre d'adoption du jazz. La première fois ce fut en 1949. Il rencontra alors le tout-Paris (Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Pablo Picasso) et tomba amoureux de la Ville Lumière -surtout d'une de ses "vedettes" : Juliette Greco. Outre la prouesse technique, la bande originale d'Ascenseur pour l'échafaud célèbre les noces du cinéma et du jazz et s'impose comme la quintessence de la bande-son des ambiances noires et nocturnes.



PRAYER (OH DOCTOR JESUS) (George & Ira Gershwin, Dubose Heyward) - PORGY & BESS, 1959

Auréolé du succès de ses précédents opus, Miles Davis décide de reprendre la fameuse symphonie Porgy & Bess signée George et Ira Gershwin. Pour l'épauler dans son projet, il fait appel à son fidèle arrangeur Gil Evans, déjà présent sur Birth of the Cool. Ce dernier exécute le gros du travail en élaguant et réorganisant l'ensemble de la partition. Le résultat s'avère à la hauteur des ambitions de Miles Davis. Interprétant toutes les voix principales, sa trompette se fait lyrique tout en conservant sa singularité. Sur le poignant Prayer (Oh Doctor Jesus). elle se morfond en lamentations désenchantées, peu à peu submergées par un crescendo de cuivres éclatants. Sublime.



SO WHAT (Miles Davis) - KIND OF BLUE, 1959

Déjà sur le titre Milestones (1958), Miles Davis prenait ses aises avec les rigueurs harmoniques en défrichant les terres du jazz dit modal. Sous l'influence du pianiste Bill Evans, le maître du cool franchit le Rubicon et épure radicalement ses compositions. Les thèmes se limitent désormais à quelques accords. Cela confère à Kind of Blue un cachet inédit : aéré, mystérieux, profond. Il reste aujourd'hui un grand classique du jazz ; on le recommande volontiers aux profanes qui veulent s'y initier. Devenu sextette avec l'arrivée de l'excellent Cannonball Adderley au saxophone alto, la dream team mené par Miles Davis signe un sans faute. L'album n'est qu'une succession de standards, à l'image de l'incontournable So What ou du somptueux Blue in Green. Le trompettiste tutoie pour la première fois les sommets. Et il sera appelé à les tutoyer de nouveau.



(*) Enregistré en 1949, le titre Jeru paraît en 78 tours en 1950. Il paraît de nouveau en 1959 à l'occasion de la sortie de Birth of the Cool, compilation qui regroupe les premiers enregistrements de Miles Davis

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