Le crime du XXIème
siècle, ce n’est pas la République de Crimée qui rejoint ces fanfarons de
bolchéviques, ce n’est pas la croissance qui peine à se lancer au pays des
Droits de l’Homme, ni même la chute de la civilisation européenne au mondial
2014 du Brésil. Non, ce statut est réservé à un tout autre événement. Que
dis-je, un phénomène ! Cette abomination, nous l’avons tous faite. Nous avons
tous eu cette faiblesse.
Il est question ici
des prénoms, ou des surnoms (puisque tout le monde se plaît à s’en donner un
sans réellement l’assumer), écrits au marqueur noir, et accessoirement bleu,
sur des gobelets en plastique, dans les soirées psycho-mondaines.
Voilà un exemple. Bon... Sans commentaire, n'est-ce pas ? |
Qu’on se le tienne
pour dit, il existe aujourd’hui une adoration de la société de l’urgence. Il
suffit simplement d’analyser les présentations de deux groupes d’amis pour s’en
rendre compte : chacun se fait la bise rapidement sans réellement prendre
connaissance de la personne qu’elle embrasse (avant de coller nos joues sur
celles d’une demoiselle, il aurait été bon de se renseigner sur son herpès).
Tant et si bien que
l’entre-soi devient en général la prochaine étape de ces introductions. Les
deux groupes se séparent, les individus rejoignent le mâle alpha de leur
équipe, et s’entame alors une séance de dévisagement (ça se dit ce mot ?).
C’est rapide, clair et expéditif. Mais c’est surtout d’un triste.
C’est ce besoin
incessant de rapidité et de fluidité qui nous force à n’exister que sur les
surfaces d’un récipient en plastique. Oui môsieur !
Les plus férus de
conversation ouvriront la voix, parleront au sexe opposé ou se trouveront des
compagnons de poilade. Les plus timides resteront avec leurs homologues, tantôt
pénétrant dans une brèche ouverte par les premiers, tantôt décochant un petit
regard furtif aux protagonistes présents.
Les plus asociaux
sortirons leurs téléphones portables pour tweeter un truc du genre :
« En soirée avec mes potos, trop bien la vie des jeunes !!
#J’aiPasdeVie #EnFaitJmeFaisChier #SauvezMoi #Suicide ». Ou se
risquer sur un Snapchat en duckface histoire de montrer qu’ils sont
bien solitaires dans leurs mièvres tentatives d’exister dans le bain de
l’inexistence virtuelle.
Mais au final, on
repart tous dans son chez-moi. Après tout, notre société est ainsi, et la
refuser vous fera passer au mieux pour un réfractaire, au pire pour un
réactionnaire (ou, si vous insistez, pour Jean-Luc Mélenchon officiellement
sponsorisé par Pepperidge Farm,
brandissant un cookie rougi de trotskisme).
Malheur à ceux qui, dans
notre société ultramoderne, écrivent leurs pseudos sur un gobelet avec un
marqueur, car il n’est rien de plus préhistorique que cela. Cette hérésie, c’est
un peu l’ancêtre commun de Facebook
et Instagram. Et plus vous le ferrez,
plus le monde chutera dans sa décadence.
C'est tellement plus YOLO de se faire un rail de Facebook ! |
De l’apologie de l’oubli
On pourrait croire que
marquer un récipient de son nom pourrait être une raison de ne pas passer
inconnu face aux autres. Aussi chacun essaiera de trouver une façon originale d’écrire
son petit surnom. Et toutes les techniques sont possibles.
En biais, pour
signaler que vous maîtrisez la calligraphie d’une main de maître, et êtes aptes
à graver les plus magnifiques des objets phalliques de vos doigts souples et
délicats ; dans l’horizontal le plus parfait, pour signifier que vous êtes
le plus strict des flegmatiques, et qu’avec vous ce sera la droiture de
l’esprit rigide ; n’importe comment, avec des lettres aussi grosses que des
pommes et d’autres tout autant petites qu’elles pourraient en être leurs
pépins, variant le style et la forme, pour scander votre amour de l’art mais
surtout, de l’art-narchie.
Hélas, vous aurez beau
tourner et détourner tous les moyens possibles d’écrire votre nom, personne ne
s’en souviendra, ni même n’aura la décence de prêter attention à ce qu’il y
aura dessus. Non seulement votre gobelet se retrouvera dérobé en milieu de
soirée par un esquimau baveux, dont la salive aura accumulé la crasse d’à peu
près une centaine de cuvettes de chiottes à la ronde, mais en plus verra sa
composition effacée à mesure que coulera l’alcool.
Ainsi les
« Jean » muteront en « Jean ‘cule’ », les
« Lolo », sans queue ni tête, en nibards et les « Coco » en
« Coco ‘nut’ » ou autres « Coco ‘Rico’ », humour tout droit
sorti des chantiers de BTP. Et croyez-moi, n’importe qui peut être victime de
ce vice, car l’imagination humaine est sans limite. J’ai cité trois exemples,
mais nos amis les beaufs se chargeront d’en imaginer un millier d’autres.
Alors, non seulement
on vous oubliera, mais en plus de cela on se foutra de votre gueule. Et c’est
connu, la raillerie lors de festivités, ça rassemble les gens plutôt que de les
foutre les uns sur les autres. Essayez-donc, le prochain soir, de rajouter
« Ducul » au gobelet de monsieur Ray, le rugbyman. On verra s’il ne
vous ferra pas avaler votre slip plié en quatre !
Les fins de soirées avec un marqueur en lice
Vous savez, ces
moments où vous êtes tellement fatigué, arrivé le lever du jour, et où vous vous
endormez immanquablement dans le canapé, sur lequel votre fessier vient de
passer les 5 dernières heures. Et bien c’est à cet instant précis que le relou
de la soirée se souvient qu’il était le dernier du groupe à avoir écrit son nom
et qu’il possède encore l’objet de tous les malheurs (ou bonheurs, dépend du point
de vue) : le marqueur.
On le sait, et on ne
cesse de vous le dire, si vos amis sont des gens de confiance, ils peuvent –
dans de nombreux cas – se transformer en de véritables bourreaux. Comme je le précisais
précédemment, l’humour est relatif. La façon de faire de l’humour, elle, est instinctive.
Donnez un marteau à un forgeron, et il frappera son enclume. Donnez un rouleau
à pâtisserie à un boulanger, et il pétrira le pain. Donnez un sextoy à un
réalisateur, et… Enfin vous avez compris l’idée quoi. Si, dans la logique, vous
donnez un marqueur à un farceur, ne vous endormez pas.
Sans quoi vous
deviendrez une patte brisée dormant comme une enclume sur un lit calciné par
votre déchéance. Autrement dit : vous serez la proie des plus atroces des
viols picturaux. Vos détracteurs se donneront à cœur joie de dessiner pénis,
vagins, poils, moustaches et autres fantaisies sur les parties dévoilées de
votre corps. A moins de vous être endormi dans un sac mortuaire, rien ne saura
échapper à la folie meurtrière des personnes avec qui vous avez pourtant bien
rigolé quelques heures avant.
Vous ne voulez tout de même pas ressembler à ça ? |
Et si vous travaillez
le lendemain, vous avez intérêt à vous trouver à proximité d’une douche ou de n’importe
quelle salle d’eau apte à épurer vos souillures dans les plus brefs délais. Je
ne prendrai pas ici le temps de vous expliquer le nombre de litres d’eau
gaspillés pour effacer ces conneries, provoquant par effet papillon l’accélération
de l’assèchement planétaire global. Oui mes pauvres amis. Il est temps de vous
rendre compte que, parfois, vous faites bien souffrir la biomasse terrienne.
C’est so 2005 !
Non seulement nous
sommes entrés dans le XXIème siècle, mais nous y sommes à présent
jusqu’au cul. Au diable ceux qui utilisent le champ lexical de l’aube ou du
lever de soleil pour qualifier notre ère. Le XXIème siècle, nous en
avons vu la forme et le fond depuis une paire d’années. A l’heure où vous lisez
ces lignes, nous écrivons un monde dont on parlera encore pendant un siècle
comme l’on parle aujourd’hui des années 1910.
Or, il est indéniable
que si l’on parle des années 20, des sixties, des seventies, ou encore de la
vague de vêtements moches kakis, fuchsia et cyan des années quatre-vingt dix,
personne – ô que les dieux m’en soient témoins – personne ne parle de ce qu’il
s’est déroulé entre les années 1900 et 1909 ! A l’exception des naïfs de
la laïcité qui pensent encore que la loi de 1905 est toujours d’actualité (sans
déconner les mecs, atterrissez ou sortez de votre trou), personne sur Terre n’est
capable de dire ce qu’il s’est passé dans cette période.
Parle-t-on des années
zéro ? Non, puisqu’il s’agit là des années… Zéro ! C'est-à-dire de l’époque
du rien, de la nullité, du vide, de l’oubli. Et si vous pensez me contredire en
citant quelque chose se déroulant dans cette période, je n’aurais qu’à vous
dire de laisser votre peine perdue sur le bas côté de la route et de vous
résigner à avancer dans notre nouvelle époque. Parce que, hein, faut pas
déconner.
Dans cette même
optique, écrire son nom sur un gobelet est un mouvement de mode qui date des
années 2005, grand maximum (oui, j’ai fait des recherches extrêmement sérieuses
à ce sujet, pensiez-vous que j’écrirais un article sans savoir de quoi je parle ?).
Or, les années 2005 correspondent siècle pour siècle à l’année de… 1905 !
Tiens donc, quelle coïncidence du hasard inattendu !
Si donc par
corrélation la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat est obsolète plus
de cent ans après avoir été faite, concernant la manie d’écrire son pseudo sur
son verre, par un référentiel similaire – donc – les enfants de nos enfants considéreront ce procédé comme étant obsolète également (et ils rajouteront même « lol y
zété tro pa SWAG nos ancétre !!1 »).
Vous avez envie de
vous ridiculiser face à l’intelligence ultime de nos descendants ? Et bien
non je ne pense pas. Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire. On est en
2014 bordel !
Conclusion
D’ailleurs, que nous
reste-t-il à faire, spécialement lorsque nous voulons trouver une nouvelle
façon de retenir nos identités et mettre des noms sur nos visages ? Que
faire lorsque le monde entier semble se liguer contre notre adoration de la
spontanéité et du vrai ? Que faire lorsque, à chaque instant, la majorité
des personnes que l’on rencontre est amenée à nous oublier et à ne plus
communiquer avec nous – jamais ?
Ma réponse à cette
question, et ma conclusion, sera de vous affirmer que vous n’avez rien à faire.
Et effectivement, plus vous tenterez d’y remédier, plus vous vous mentirez à vous-même.
Car le monde est fait ainsi, de personnes qui vous oublient et sont amenées à
vous ignorer plus tard. Arrêtez de chercher à avoir plus d’un millier d’amis
sur les réseaux sociaux et partager vos vies dans ce monde où l’existence est
tout aussi dupe qu’un « J’aime ».
Les gens vous
oublient, c’est naturel. Le monde vous oubliera, c’est un fait. L’on ne se
souviendra pas plus de vous si vous montrez à tous quel nom l’on vous donne que
si vous aviez cherché à changer la nature des autres. Pour ainsi dire,
arrêtez d’écrire vos noms sur les gobelets en plastique, écrivez-les plutôt
dans les cœurs des gens.
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