À l’heure où l’image a envahi
l’espace public et où la forme a définitivement gagné sur le fond, certains
artistes ont fait le choix de vivre en retrait des médias, voire de cultiver un
anonymat qui confine souvent à la disparition pure et simple. Passage en revue
de ces grands absents qui appliquent à la lettre la fameuse devise « pour
vivre heureux, vivons cachés ».
MAURICE BLANCHOT
De tous les grands invisibles,
Maurice Blanchot fut certainement le plus radical et le plus mystérieux. Il n’a
laissé qu’une seule photographie de son visage et a affiché durant toute son
existence une véritable obsession pour la disparition. Auteur d’une œuvre volumineuse et difficile d’accès, souvent
qualifiée d’hermétique, cet intellectuel atypique est mort en 2003, dans sa 96e
année.
JULIEN GRACQ
Lauréat du Prix Goncourt en 1951
pour Le Rivage des Syrtes, Julien
Gracq se rend célèbre en refusant cette récompense et en évitant autant que
possible les apparitions médiatiques et la fréquentation du milieu littéraire.
Il élabora une œuvre ambitieuse, d’une grande richesse stylistique. Retiré dans
sa propriété de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire, il fit l’objet
d’un véritable culte jusqu’à sa mort, en 2007, à l’âge de 97 ans.
LOUIS-RENÉ DES FORÊTS
Cet auteur compte parmi les
écrivains français les plus discrets, qui se sont effacés derrière leur œuvre
jusqu’à l’extrême. Louis-René Des Forêts publia peu de livres, mais chacun
d’entre eux fut encensé par la critique spécialisée. Il passa du roman aux
poèmes, en passant par la forme fragmentaire, tous ces ouvrages ayant en commun
un aspect rare et secret, accordant une grande importance au silence. Il est
mort en 2000, âgé de 82 ans.
MILAN KUNDERA
Naturalisé français en 1981, cet
auteur d’origine tchécoslovaque refuse obstinément toute apparition médiatique,
citant comme modèle Gustave Flaubert, qui considérait que le romancier devait
disparaître intégralement derrière son œuvre. Il fait partie du club fermé des
auteurs publiés de leur vivant dans la prestigieuse collection de la Pléiade.
Ces dernières années, il a créé la polémique en interdisant l’édition de ses
livres en format numérique.
JONATHAN LITTELL
En 2006, un livre inclassable de
900 pages est publié chez Gallimard. Les Bienveillantes relate des
épisodes marquants de la Seconde Guerre mondiale du point de vue d’un SS. La
critique s’enthousiasme, et l’Académie Goncourt lui attribue son prix. Mais
Jonathan Littell ne daignera pas se déplacer pour le recevoir. Mieux que
ça : il déclinera les invitations à la télévision, et jouera à fond la
carte de l’homme-mystère. Depuis, il publie régulièrement des livres, traitant
aussi bien de la situation en Syrie que du fasciste belge Léon Degrelle ou du
peintre Francis Bacon.
GUY DEBORD
Mondialement célèbre pour son
essai La Société du Spectacle, paru
en 1967, Guy Debord est aussi à l’origine de l’Internationale lettriste et de l’Internationale situationniste, mouvements artistiques et
intellectuels majeurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Debord évitait
soigneusement d’apparaître dans les médias, à tel point qu’on n’a longtemps
connu que quelques photographies de son visage. Atteint d’une polynévrite due à
sa consommation d’alcool, il se suicide le 30 novembre 1994.
THOMAS PYNCHON
Pynchon fait partie de ces
extrémistes de l’anonymat, qui se cachent totalement derrière leurs livres. On
ne sait quasiment rien de cet auteur : seules quelques photos en noir et
blanc datant de sa jeunesse donnent une idée de son visage. Des journalistes
américains qui l’avaient filmé dans une rue de Manhattan furent contraints
d’effacer la bande. Il est très respecté dans le paysage littéraire mondial,
grâce à ses romans, énormes fresques savantes et ambitieuses.
J.D. SALINGER
Sans doute le plus connu des
ermites littéraires, J.D. Salinger est devenu au fil des années un mythe
vivant. Après le succès de son roman L’Attrape-cœurs
en 1951, il publie encore quelques ouvrages avant de se murer dans un silence
total à partir de 1965. Vivant reclus dans sa maison de Cornish, dans le New
Hampshire, il éconduisait les journalistes et biographes qui souhaitaient
s’entretenir avec lui. Il meurt en janvier 2010, à l’âge de 91 ans.
B. TRAVEN
Multipliant les pseudonymes et
les nationalités différentes, B. Traven est une véritable énigme. Sa date et
son lieu de naissance demeurent aujourd’hui encore incertains. Il a notamment
écrit sur l’exploitation des Indiens du Mexique dont il se sentait proche, et
s’est opposé à la discrimination raciale, ainsi qu’au capitalisme. À partir de
1939, il ne publia plus qu’un seul ouvrage jusqu’à sa mort, en 1969.
ANTONI CASAS ROS
Défiguré par un accident de
voiture qui coûta la vie à sa compagne, Antoni Casas Ros s’est mis à écrire
juste après ce drame. Il a publié plusieurs romans en français chez Gallimard,
parmi lesquels Le Théorème d’Almodovar,
en 2007. Personne n’a jamais vu son visage, pas même ses éditeurs, ce qui fait
croire à certains qu’Antoni Casas Ros n’existe pas, et qu’un auteur, déjà connu
sous un autre nom, écrit sous ce pseudonyme.
ONUMA NEMON
Ce pseudonyme cache un auteur
invisible, auteur d’une œuvre atypique. Également plasticien, Onuma Nemon
publie petit à petit des extraits d’une sorte d’œuvre d’art totale qu’il
élabore depuis 1966, et qui compterait aujourd’hui plus de 20 000 pages.
RÉJEAN DUCHARME
À l’instar de Maurice Blanchot ou
Thomas Pynchon, on ne connaît de cet auteur québécois que deux ou trois photos
en noir et blanc. Il a choisi l’invisibilité depuis son premier roman, L’Avalée des avalés, en 1966. Depuis, aucune
apparition publique : il bénéficie de la complicité de ses amis et
voisins, qui ne souhaitent pas le photographier alors qu’ils le pourraient.
Réjean Ducharme n’a rien publié depuis 1999.
GÉRARD MANSET
Né en 1945, Gérard Manset est un
cas à part dans le milieu de la chanson française. Depuis 1968 et la sortie de
son premier disque, Animal on est mal,
il traîne une réputation d’homme invisible, qui ne monte jamais sur scène,
n’apparaît pas à la télévision, refuse qu’on le photographie sans ses lunettes
noires. Son chef-d’œuvre, La Mort d’Orion,
sorti en 1970, passe pour être un des albums-concepts de langue française les
plus aboutis. Comme Hubert-Félix Thiéfaine, Manset peut compter sur un public
fidèle malgré sa grande discrétion.
JACQUES DUTRONC
Après avoir passé des années sous
les feux de la rampe, Jacques Dutronc s’est retranché dans sa propriété corse de Monticello, où il vit loin de
l’agitation du show-biz. S’il se montre encore au cinéma, il ne sort quasiment
plus de disques. Ses derniers albums datent respectivement de 1995 et 2003. Ses
apparitions sur scène sont encore plus rares (1992 et 2010).
MICHEL POLNAREFF
Michel Polnareff est connu pour
ses disparitions brutales et sa rareté médiatique. Il quitte la France en 1973
et s’installe à Los Angeles. Dans les années 80, il revient en France et vit
incognito dans la banlieue parisienne, méconnaissable (barbe et cheveux longs). En 1989, il s’installe 800 jours à l’hôtel Royal Monceau, où il
enregistre Kâmâ Sutrâ, dernier album
studio en date, sorti en 1990. Après une tournée française triomphale en 2007,
Michel Polnareff, toujours exilé aux États-Unis, serait sur le point de sortir
un nouvel album en 2014, après 24 ans de silence.
MARK HOLLIS
L’ancien leader du groupe anglais
Talk Talk, connu pour son tube Such a
Shame en 1984, a disparu des écrans radars depuis plus de quinze ans. Après
les deux derniers albums du groupe, qui n’avaient déjà plus rien à voir avec la
variété facile des débuts, Mark Hollis sortait en 1998 un album solo éponyme,
qui faisait suite à sept ans d’absence. Depuis cette date, le chanteur refuse
d’apparaître en public. Il a déclaré vouloir se consacrer à sa famille.
SCOTT WALKER
Même s’il ne s’oppose pas aux
interviews, Scott Walker, chanteur américain vivant en Angleterre, est célèbre
pour sa production discographique très rare. Depuis les années 70, il n’a sorti
que quatre albums, soit en moyenne un toutes les décennies.
BUCKETHEAD
Ce guitariste prodige américain
n’a jamais montré son visage. Il se produit sur scène affublé d’un masque blanc
et porte sur la tête un seau de pilons de poulet KFC, d’où son pseudonyme. Les
rumeurs vont bon train pour tenter de percer le mystère de ce brillant
« shredder » qui a sorti plusieurs dizaines d’albums depuis les
années 90.
THE RESIDENTS
Actif depuis la fin des années
60, ce groupe américain déjanté est composé de membres anonymes, portant le
plus souvent un masque en forme de globe oculaire. Leur univers étrange et
leurs pochettes effrayantes en font un groupe totalement à part.
SYD BARRETT
Ancien membre du groupe Pink
Floyd, dont il fut exclu pour sa consommation excessive de drogue, Syd Barrett
a passé les trente dernières années de sa vie reclus près de Cambridge. Ses
proches ont affirmé qu’il avait perdu tout intérêt pour la musique, et qu’il se
passionnait désormais pour la peinture et l’art en général. Plusieurs sources
se contredisent pour expliquer cette brusque rupture : selon certains, Syd
Barrett était atteint de maladie mentale. D’autres affirment que sa consommation
de LSD l’a brisé pour le restant de ses jours. Enfin, sa propre sœur a soutenu
qu’il n’était absolument pas fou. Il meurt en 2006 à l'âge de 60 ans.
BILL WATTERSON
Récemment primé par le Grand Prix
du Festival d’Angoulême, le dessinateur américain Bill Watterson, auteur de la
fameuse série Calvin and Hobbes a
décidé du jour au lendemain d’arrêter sa carrière, le 31 décembre 1995, alors
qu’il était en pleine gloire. Intransigeant vis-à-vis de son œuvre (il a
interdit toute exploitation commerciale des héros de sa série), il a définitivement
tourné la page de la BD et se concacre désormais à la peinture, refusant toute
interview ou apparition publique.
STANLEY KUBRICK
Aujourd’hui considéré comme l’un
des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma, Stanley Kubrick était un homme
très discret, qui fuyait la notoriété, et vivait retiré dans son château
anglais, ce qui contribua à sa légende. Dans les deux dernières décennies de sa
carrière, les périodes de silence entre chaque film devinrent de plus en plus
importantes : sept ans entre Shining
et Full Metal Jacket et douze ans
entre ce dernier et Eyes Wide Shut.
TERRENCE MALICK
Ce talentueux réalisateur
américain est aussi une personnalité farouche et secrète. On connaît son visage
grâce à quelques rares photos, sur lesquelles il apparaît toujours portant un
chapeau. En 2011, il obtient la Palme d’Or au Festival de Cannes, mais il ne
récupère pas son prix, n’étant pas présent à la cérémonie. Sa filmographie est
peu importante (6 films en 40 ans de carrière) et il a délaissé la réalisation
pendant 20 ans (entre Les Moissons du
Ciel, 1978 et La Ligne Rouge,
1998).
MARTIN MARGIELA
Le couturier belge Martin
Margiela peut facilement concourir parmi les artistes les plus secrets du
monde. Une seule photo de lui circule sur internet. Il n’apparaît jamais
publiquement et répond aux interviews exclusivement par fax.
BANKSY
Banksy est le pseudonyme d’un graffeur britannique. Rapide et discret, personne ne l’a jamais vu réaliser une de ses œuvres, d’où la fascination et la curiosité qu’il suscite. Certaines de ses peintures ont été découpées dans les murs pour être vendues aux enchères.
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